Le Havre la place Thiers
Évoquer la place Thiers c’est raconter une longue histoire. À l’époque où Ingouville est une commune indépendante, l’emplacement de la future place Thiers n’est qu’un herbage, comme il y en a beaucoup dans son voisinage.
Ingouville en 1787. Les deux silhouettes rouges sont, en haut la chapelle saint Michel, en bas l’église des pénitents. Le carré vert représente l’herbage, la future place Thiers, dont il sera question dans cet article. Le tracé bleu est celui de la rue Gustave Flaubert à venir, le tracé orange celui de ce qui deviendra la rue Thiers puis l’avenue René Coty. Plan AMH1Fi219.
La majeure partie de cette prairie, d’ailleurs libre d’accès, appartient à l’hospice général. Dès 1792 différentes foires y seront organisées notamment à la Saint Michel.
En mai 1837 la municipalité d’Ingouville signe un bail de 40 ans avec l’hospice afin d’en disposer librement. En contrepartie la commune s’engage à construire une rue pour accéder à l’hospice. Cette artère est aujourd’hui la rue Gustave Flaubert.
En 1852 Ingouville est annexée au Havre, les noms de rues et places changent afin d’éviter les confusions, à l’exception du champ de foire qui garde le sien.
En 1873, après l’achat des parcelles privées et du bail conclu avec l’hospice, le champ de foire devient une place publique qui prendra le nom de Thiers en 1877.
En 1881 on y construit des halles mais qui seront démolies en 1890. Là on peut émettre l’hypothèse que les marchands ambulants venant habituellement sur cette place, ne voulaient pas s’y établir définitivement.
Comme toutes places publiques, elle se devait d’avoir ses « commodités » et pas seulement pour les manifestations qui s’y déroulaient. Ces sanitaires prendront la forme d’un petit édicule auquel on adjoint un kiosque à journaux. Ces toilettes ne sont pas gratuites et coûtent la modique sommes de 10 centimes.
La place Thiers au début du XXème siècle. Collection P.R.
Une fête exceptionnelle.
Du 14 au 17 août 1913, a lieu la kermesse de charité, appelée aussi fêtes de bienfaisances du 5ème canton. Pour cette occasion la place Thiers est entièrement close avec entrée payante.
La place Thiers entièrement occupée par la kermesse de charité. Coll Dan.
L’accueil se faisait rue Thiers, avec un prix d’entrée fixé à 30 centimes.
L’entrée de la kermesse rue Thiers. Coll Dan.
Le comité d’organisation est composé de personnalités parmi lesquelles certains laisseront un nom dans l’histoire havraise, tels Robert Desforges et son magasin d’instruments de musique, ou Ernest Duchemin papa du célèbre « père la brioche ». Ce comité reçoit le samedi 16 août le Maire de la ville Henry Génestal.
Le comité d’organisation au complet. Le numéro 1 désigne robert Desforges, le 2 Ernest Duchemin. Coll Dan.
À l’intérieur de l’enceinte deux stands, ceux de la Normandie et la Bretagne proposent les produits de leur terroir. Hommes et femmes en costumes régionaux, accueillent le public désirant se restaurer ou se désaltérer. Les femmes se distinguent avec leur coiffe toutes différentes selon la contrée d’origine.
Les spécialistes reconnaitront l’origine des costumes et des coiffes. Coll Dan.
Les Bretons, dont une importante colonie est représentée au havre, ne sont pas oubliés avec leurs costumes chamarrés et leurs spécialités comme les crêpes ou le cidre etc.
Les spécialistes reconnaitront l’origine des costumes et des coiffes. Coll Dan.
La musique fait partie de la fête et quantité d'orchestres donnent leur concert devant un nombreux public. Parmi ces formations musicales on peut entendre celle du 129e régiment d’infanterie, ou les chanteurs de la célèbre lyre Havraise. De nombreux ensembles musicaux venus de toute la France, enchanteront les oreilles havraises tout au long de ces 3 jours de fêtes
Si la musique est bien présente l’humour n’est pas oublié avec, entre autres, les artistes du cabaret « La Cigale » avec ses chansonniers et ses comiques troupiers.
Les artistes comiques et chanteurs du cabaret « La Cigale » devant leur stand. Coll Dan.
Cette kermesse ainsi que les fêtes ayant eu lieu ces jours-là au Havre, se concluront par un magnifique feu d’artifice.
Les 14 juillet place Thiers
Bien entendu cette fête de bienfaisance n’est pas la seule à avoir eu lieu sur la place. Étant en centre-ville c’est l’endroit idéal pour rassembler les Havrais lors de la fête Nationale du 14 juillet. Les spectateurs peuvent ainsi assister à l’envol d’un ballon dirigeable en étant disposés autour du lieu d’envol.
Un 14 juillet place Thiers au début du XXème siècle. Coll Dan.
Naturellement, en dehors des jours de fêtes, le marché continue à se tenir sur cette place.
La place Thiers un jour de marché. Collection Pascal Alinand.
Après la première guerre mondiale
Après la première guerre mondiale fêtes et défilés continuent à s’offrir aux yeux du public Havrais. Elles se déroulent soit sur la place ou autour d’elle. On a ainsi pu voir et entendre des musiciens écossais, comme l’atteste cette photo prise dans les années 1920.
Le défilé descendant ce qui était encore le prolongement de la rue du Maréchal Gallieni, aujourd’hui Docteur Vigné.
En 1939 Marthe et Antoine Pourtier les propriétaires du cirque Pourtier s'installent pour quelques jours place Thiers. Ce sont des forains ayant acquis une grande expérience dans le domaine des fêtes foraines et sillonné la France avec leur spectacle. Revoir les prestations plus complètement ici
Le cirque Pourtier place Thiers. Collection Pascal Alinand.
La seconde guerre mondiale
Pendant la seconde guerre mondiale on creuse un abri antiaérien avec trois entrées sous la place Thiers. Au sujet de ces abris revoir le reportage ici
L’entrée ouest de l’abri désigné par la flèche rouge. Collection François Pivert.
Après la deuxième guerre mondiale
Les hostilités terminées la place Thiers reprendra le rôle qu’elle a toujours joué, celle de place publique avec ses marchés et ses fêtes. Le Havre étant sinistré, certains commerçants ne pouvaient pas reprendre leur activité dans leur boutique détruite par les bombardements. Pour y remédier la municipalité construit sur cette place des échoppes en dur qu’ils occuperont jusqu’à une période avancée.
Une des nombreuses boutiques provisoires place Thiers le long de la rue Gustave Flaubert. Collection Éric Houri.
Mais les fêtes ne sont pas oubliées, ainsi les 14 juillet continuent d’attirer du monde avec différentes attractions, chanteurs ou cirques ambulants. Le 14 juillet 1948 ce sont des fil-de-féristes qui ravissent, ou donnent des frissons, au public venu nombreux assister à leur prestation. Leur spectacle était précédé par la démonstration de gymnastes hommes ou femmes, ou par des formations de musiciens.
La première partie du spectacle avec les gymnastes hommes. Coll Dan.
Venaient ensuite le clou du spectacle avec les fil-de-féristes. Ce sont probablement ceux de la famille Orsola que votre serviteur a pu voir dans ces années-là.
Malgré le filet de protection cette prestation reste dangereuse. Coll Dan.
Des noms célèbres de la chanson tels Annie Cordy ou Charles Trenet, viennent chanter sur cette place malheureusement trop petite pour contenir un public nombreux. De plus les baraquements commerciaux disposés tout autour ne laissent que peu de place pour installer un podium. Mais qu’à cela ne tienne, les Havrais privés de spectacles pendant quatre ans, viennent en grand nombre pour voir et entendre ces vedettes de music-hall.
La place Thiers un jour de représentation. Le photographe regarde vers l’ouest avec à droite la rue Gustave Flaubert. Coll dan.
Pour beaucoup de Havrais, cette place représente le lieu, où tous les ans au mois de septembre, se déroule la « Foire Thiers » avec ses grands manèges. Elle est suivie de la foire Saint Michel mais qui, faute de place, sera transposée cours de la République et place Danton. De nos jours c’est sur la place du champ de foire actuelle qu’elle a lieu, un nom qui ramène aux origines.
La place Thiers entièrement occupée par la fête foraine. Notez la légende erronée puisque l’appellation de « Seine Inférieure » n’existait plus depuis 1955. Coll Dan.
Au début des années 1970 afin de faire face au nombre toujours grandissant de voitures et au manque de places de stationnement, la municipalité décide de construire des parkings sous et sur la place elle-même. Étant sur deux niveaux la différence de hauteur côté sud, forme un espace suffisant pour y construire des commerces.
La construction des parkings et des commerces le long de l’avenue René Coty. Collection Pascal Alinand.
Du côté nord l’excavation est importante afin d’avoir un plancher horizontal et une grande surface de stationnement.
Le creusement du parking. Le point rouge représente la gare basse du funiculaire. Collection Pascal Alinand.
Cette disposition en terrasse permet d’organiser des manifestations sur le parking supérieur en plein air. Pour cela il suffisait d’interdire le stationnement le jour de la manifestation pour s’installer.
Parmi les manifestations possibles sur le parking, les vide-greniers. Photo Dan.
Comme tout a une fin, en 2022 la place Thiers disparait en tant que telle, avec la construction de « La Halle Gourmande » sur l’emplacement même du parking supérieur.
La construction de « La Halle Gourmande » en 2022. Photo Dan.
Ainsi se termine, mais provisoirement sans doute, l’histoire de cette place Thiers.
Merci de votre visite.
Sources :
Charles Vesques Tome 1 & 2 « Histoire des rues du Havre »
Journal « Le petit Havre » d’août 1913.
Havre-Libre 1978.
Dictionnaire des rues du Havre. Édition des Falaises 2011.
Iconographie :
AMH.
PR collection.
Pascal Alinand.
François Pivert.
Éric Houri.
Dan.
Remerciements :
Françoise Lefort pour son aide précieuse.