De l’élingue au Ro-Ro. Le Havre.
Au départ le but de cet article était plutôt simple, raconter l’histoire de la Compagnie Normandy-Ferries. Mais en approfondissant le sujet on s’aperçoit que transporter des voitures par bateaux n’a pas toujours été facile. Aussi allons-nous remonter le temps pour comprendre comment on
procédait autrefois.
Lorsqu’on transportait une automobile, on la hissait à bord d’un bateau à l’aide d’élingues et d’une grue. L’opération était délicate peu rentable et prenait du temps. Voici trois exemples pris à des époques différentes :
Au début de la deuxième guerre mondiale le transport des véhicules prit une importance
fondamentale. Les allemands en prévision de l’invasion de l’Angleterre, chargèrent leurs camions en utilisant toujours la même technique pour soulever et charger leurs véhicules.
Toutes ces manutentions par grues étaient dites classiques. Puis vint la manutention horizontale née d’un principe simple : faire passer des véhicules de la terre au navire ou du navire à la terre sans passer par le grutage. Cette nouvelle façon de faire va prendre le nom anglais très imagé de roll-on roll-off (entrer en roulant, sortir en roulant) abrégé en Ro-Ro ; terme dont l’usage s’est
répandu dans le monde entier.
La genèse des Ro-Ro
Si on recherche l’ancêtre le plus lointain des Ro-Ro on le trouve en Angleterre avec les « Ferry-boats » attesté depuis 1833. Mais cela ne concernait pas les véhicules automobiles.
Les premiers bateaux à embarquer directement une automobile furent les bacs fluviaux. La voiture montait à bord par ses propres moyens et n’avait pas besoin d’assistance autre que la rampe
d’accès au bac. Exemple ci-dessous à Quillebeuf.
Mais ces bateaux à fond plat n’étaient pas appropriés pour la haute mer. C’est pourquoi, lors de la seconde guerre mondiale, des ingénieurs américains se souvenant des « Ferry-boats », conçurent des bateaux à fond plat mais capables de naviguer en mer. Leur but, pouvoir débarquer directement hommes et camions sur les plages sans utiliser d’infrastructures portuaires. Ces bateaux reçurent le nom de LST Landing Ships Tank (navires de débarquement). Ils furent utilisés au Havre par la
logistique américaine.
L’avènement des car-ferries.
Après la seconde guerre mondiale, lorsque la compagnie Britishs Railways embarquait une
automobile, elle utilisait toujours la même technique, une grue et des élingues pour la hisser à bord.
Ci-dessous le quai de Southampton et l’embarcadère de cette compagnie. Le « Normania » prêt à embarquer un véhicule avec sa cale grande ouverte (flèche rouge).
Avec le développement du tourisme et de l’automobile, il n’était plus question d’embarquer les voitures avec ce procédé trop long et trop coûteux. Dès lors les ingénieurs cherchèrent un moyen plus rationnel et rentable pour le remplacer. Pourquoi ne pas adopter la méthode utilisée par les LST lors de la seconde guerre mondiale ? C’est ainsi qu’une nouvelle génération de bateaux vit le jour : les car-ferries. Havrais-Dire a évoqué l’épisode concernant la compagnie Townsend-Thoresen ici :
La compagnie Normandy Ferries
Deux armateurs : la Général Steam pour l’Anglaise et La S.A.G.A (1) Société de Gérance et d’Armement pour la Française s’unirent pour créer la Compagnie Normandy Ferries.
Le lieu choisi pour implanter cette nouvelle compagnie est l’extrémité du môle central près de la forme 7. Le projet fut présenté à la presse en mars 1967.
(1) Compagnie créée en 1919.
Les infrastructures :
Dès 1967 tout est mis en œuvre pour aménager le terre-plein du môle central. Le plus gros travail consista à construire la plate-forme d’appui de 1.200 m3 en béton. Elle est équipée de flotteurs
rattachés à la passerelle d’accès. Cette dernière peut ainsi suivre les mouvements de la marée et se positionner à la bonne hauteur de la poupe du navire.
Cette rampe, construite par les établissements Caillard pesait 180 tonnes avec une largeur de 9,50m. Elle fut transportée depuis son lieu de fabrication par un convoi exceptionnel, et mise en place avec le ponton bigue de 200 t. du Port Autonome.
La gare maritime :
Les travaux de construction de la gare maritime, commencèrent en février 1967 pour s’achever en même temps que toutes les autres infrastructures. L’inauguration eut lieu le 19 juin de la même
année.
Le terre-plein des Normandy Ferries était d’une grande capacité, néanmoins il s’agrandira au fil du temps pour répondre au développement du tourisme et du fret. Au début sa surface représentait 24.700 m2, pour atteindre 58.000 m2 en 1970.
Le transport des marchandises n’était pas oublié puisque en 1968, il atteindra, tous car ferries confondus, 436.119 tonnes. La Compagnie Normandy Ferries embarquait les remorques des poids-lourds à l’aide d’un chariot de manutention. cela permettait de les placer le plus
rationnellement possible dans la soute du navire.
Les bateaux :
Le Dragon inaugura cette nouvelle ligne conduisant à Southampton le 7 juillet 1967. Les noms de ces bateaux n’ont pas été choisi au hasard, en effet, le Dragon, armé par les anglais, est l’animal
fabuleux qui figurait sur les armes du roi d’Angleterre Harold II.
Quant au Léopard, armé par les Français et mis en service en avril 1968, c’est l’emblème de
l’étendard de Guillaume le Conquérant. Deux symboles forts pour cette compagnie Franco-anglaise. Ce bateau sera aussi utilisé de 1968 à 1971 pour la ligne Le Havre-Rosslare (Irlande).
En avril 1973 la compagnie I.C.L., (Irish Continental Line) avec le bateau Saint Patrick inaugure la ligne avec l’Irlande en utilisant le terminal des Normandy Ferries.
Pour diverses raisons ce terminal était parfois indisponible. On utilisait alors un poste roll-on roll-off de secours quai de l’Atlantique. Cette situation était plus ou moins gérable tant qu’il n’y avait qu’un seul bateau pour la compagnie I.C.L. Mais avec la mise en service du Saint Killian il était nécessaire de construire un autre point d’accostage à côte des Normandy Ferries. Ce fut chose faite en 1978 avec un deuxième poste juxtaposé au premier.
Le succès des traversées vers l’Irlande est au rendez-vous. Les deux bateaux faisant la navette furent bientôt insuffisants. Aussi on décida de les rallonger afin d’accroître leur capacité d’accueil. Dès lors on les rebaptisa Saint Patrick II et Saint Killian II.
Malgré le succès de ces deux compagnies, une ombre se glissait au tableau. Le Port Autonome
envisageait l’extension du parc minéralier et la mise en service d’un dock flottant. Ce dernier
pourrait être implanté au fond du bassin de marée.
En attendant et malgré cette perspective, l’activité des car ferries continuait.
Le climat du Havre étant quelque peu pluvieux, en 1992 on construisit des passerelles vitrées afin d’abriter les passagers de la gare au navire. Elle sera utilisée jusqu'en 1994 où elle sera démontée.
Ci-dessous les passerelles surlignées en rouge. La gare maritime est en bleu. On se rend compte ici de la proximité du poste minéralier.
La fin de la compagnie Normandy Ferries.
Cette fin est à mettre au compte de la lutte sans merci entre sociétés de transports maritimes telles Townsend Thoresen ou P&O. Cette dernière absorbe en 1980 la Normandy Ferries et ses bateaux. C’est sous leurs nouvelles couleurs que les navires navigueront, à l'exemple du « Léopard » ci-dessous.
C’est en 1994 que la compagnie Irish Ferries s’installera quai Southampton, bénéficiant ainsi de la nouvelle gare maritime construite depuis peu et devenu aujourd’hui l’espace Graillot. La même
année l’activité Transmanche se fixe quai de Broström avec, la P&O puis, plus tard, la Brittany Ferries.
La situation aujourd’hui
De cette lutte implacable pour les liaisons transmanche, seule reste la société Française Brittany Ferries.
Les aménagements du terminal au môle central ont disparu, toutefois il reste un équipement
toujours utilisé par les remorqueurs Boluda, à savoir le pont reliant le quai à leur ponton flottant. Ce pont n’est autre que celui du bac du Hode côté seine Maritime. Il fut utilisé tour à tour au Hode donc, puis au quai de l’atlantique. Ensuite il servit de passerelle pour la Irish Ferries pour finir comme
accès au ponton des remorqueurs.
Tout cela lui confère le titre de plus vieux pont du port du Havre et du plus « voyageur » aussi…
Sources :
Revues « Escale » années 1962 à 1982.
« Le Havre un port » Cinq siècles d’évolution. Serge Aubourg, Patrick Bertrand, Paul Scherrer. ISBN 978-2-918616-33-7.
Havre Libre 1964-1967-1981.
Bernard Genet : Port Autonome de Marseille de 1966 à 2002.
Crédit photos :
Port Autonome du Havre.
Cédric Conseil.
Raoul Friboulet.
Vincent Senault.
Jean-Marc Hérouard.
Jean-Jacques Rosconval.
Wikipédia domaine public.
Dan.
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