Le théâtre du Havre. Première partie.
Au Havre, l’origine d’un théâtre (1) remonte à la moitié du XVIIIème siècle. La municipalité avait pourtant encouragé les troupes de comédiens à s’établir au Havre, mais en l’absence de local
approprié, les baladins se produisaient en plein air à la belle saison.
(1) Au 18ème siècle le nom de « théâtre » ne s’appliquait qu’à la scène, et pas à la salle elle-même qu’on nommait
comédie ou salle de spectacle.
En 1727, on installe un modeste théâtre sous les Halles dans la rue du même nom. Mais la troupe était si mauvaise et la mise en scène si ridicule, que la jeunesse Havraise, après avoir manifesté son mécontentement, revint un soir le démolir de fond en comble. Les Halles qui l'abritaient furent elles-mêmes passablement saccagées.
En 1740 environ, une troupe vint s’installer dans un magasin situé entre les deux portes d’Ingouville, il appartenait à deux négociants Lebourgeois et Homberg. Ce bâtiment construit en bois de charpente fut détruit le 2 avril 1757 par une tempête comme Le Havre en connait de temps à autre.
Par la suite d’autres salles furent construites, mais aucune n’était vraiment digne de représenter une ville comme Le Havre. Les lieux où se donnaient des spectacles étaient : rue de Paris, rue des remparts, rue de la halle citée plus haut, et le théâtre d’Ingouville au 47 Grande Rue, mais cette salle était située à plus d’un kilomètre du Havre intra-muros.
Le premier théâtre digne de ce nom est celui de la Citadelle plus connu sous le nom du Théâtre des Barres construit dans le quartier du même nom en 1787. Revoir ici
Détruit par un incendie en 1810, et faute de mieux, on joua dans le théâtre d’Ingouville réaménagé pour l’occasion. Mais le public n’assistera qu’occasionnellement à ses représentations, il fallait faire trop de chemin pour s’y rendre. L'audience étant trop faible la salle dut fermer ses portes.
Par la suite plusieurs projets furent étudiés, aussi bien venant de la part de personnes privées que de la municipalité. Mais le retour de Napoléon en 1815 pesa sur les finances de la France et celles du Havre. Aussi la décision de construire un nouvel édifice fut reportée à une date ultérieure.
En 1816 la paix revenue, la municipalité vota pour une nouvelle proposition de théâtre. Le conseil
rejeta l’ancien emplacement dans le quartier des barres le jugeant trop loin du centre. Ils
demandèrent à Louis XVIII de pouvoir construire un nouveau théâtre sur une partie du parc de la marine (2). Cette demande fut acceptée le 27 juillet 1817, à charge pour la ville de prendre à son compte les frais de la démolition des anciens bâtiments.
(2) De nos jours c’est l’espace Oscar Niemeyer avec le Volcan.
L’architecte Jean-Baptiste Auguste Labadye est chargé de concevoir ce nouveau théâtre. Cette
nouvelle salle doit être construite sur l’emplacement de l’ancienne enceinte, avec ses remparts et fossés marécageux.
Par mesure de précaution Labadye décide d’effectuer un sondage du terrain afin d’en connaître la nature exacte. Les résultats démontrèrent que le sous-sol était composé principalement d'alluvions limoneuses.
C’est pourquoi il édifiera le théâtre sur presque 300 pieux afin d’avoir une assise stable.
Ses plans furent approuvés par la municipalité, et les travaux confiés à l’entrepreneur M. Fossard du Thill le 16 août 1817.
La première pierre du théâtre est posée par « Son Altesse Royale » Louis-Antoine d’Artois, duc d’Angoulême le 19 octobre 1817. Il donna le coup de truelle traditionnel et signa l’acte de naissance symbolique de l’édifice. Le document fut déposé dans les fondations avec des pièces d’argent.
Sur la gravure ci-dessous, le théâtre tel qu’il, était à son inauguration, et la place Louis XVI n’a pas encore l’aspect que nous lui connaîtrons plus tard.
Tout autour du théâtre ce ne sont que des maisons en bois, on en distingue une sur la gauche de cette gravure. Aussi dès 1822 la municipalité imposera de construire les immeubles de cette place sur un plan uniforme de même hauteur avec arcades d’après les projets de Labadye. Les
travaux ne seront exécutés qu’à partir de la décennie 1830-1840.
Le 22 mai 1832 une représentation est donnée au profit des sinistrés de l’incendie ayant détruit tout un pâté de maisons au sud du théâtre. Elles étaient habitées en majorité par des émigrants suisses dont plusieurs trouvèrent la mort.
On remarque tout de suite à la vue de ces gravures, que le toit est pointu recouvert d’ardoises, et le péristyle est absent, on verra plus loin comment cela s’est transformé.
Les cabales.
Ces « cabales » s’exprimaient par des bravos ou des sifflets entraînant l’exclusion ou l’admission d’un acteur novice dans une troupe, ou même de la pièce représentée. Cela faisait partie des mœurs de l’époque et admise par tous, c’était une tolérance que même le directeur respectait sans toutefois les approuver. Les acteurs se soumettaient, bon gré mal gré à ce « verdict » populaire.
Il est arrivé qu’une actrice, vexée par la cabale, quitte la scène avant la fin de la représentation, la troupe n’avait alors qu’une solution, jouer au mieux le dernier acte.
Bien souvent les « cabaleurs » n’arrivaient pas à se départager, cela tournait parfois à l’émeute, la force publique devait alors intervenir.
Le directeur du théâtre avait la possibilité de présenter les comédiens exclus, une seconde, voire une troisième ou quatrième fois au public, et là tout pouvait recommencer.
L’incendie du 28 avril 1843.
Le vendredi 28 avril 1843, vers une heure du matin des personnes aperçurent de la fumée sortant par les joints des fenêtres du théâtre. L’alerte est aussitôt donnée. Le directeur M. Fortier et sa
domestique logeant à l’intérieur, se rendent sur la corniche croyant échapper aux flammes. Fortier interpelle les passants en les incitant à aller chercher des échelles au magasin des décors. Mais ce sera trop tard, cerné par la fumée il saute d’une hauteur de vingt mètres, suivi par sa domestique qui tombe sur lui entraînant la mort de Fortier.
Pendant deux jours le feu dévora l’intérieur, ne laissant que les murs Est, Nord et Sud plus ou moins intacts. Par contre, la façade Ouest donnant sur la rue Caroline (rue Racine) sera complètement anéantie, elle laisse apercevoir tout l’intérieur du théâtre calciné.
À la suite de cet incendie, les représentations eurent lieu dans le théâtre d’Ingouville remis en état pour l’occasion. Mais les habitués voulaient une salle plus grande, aussi en 1844, le directeur, M. Derville, fit transformer les ateliers Mazeline, au 7 de la rue Molière, en théâtre provisoire. Inauguré le 14 septembre 1843, c’est jusqu’au 8 juin 1844 que furent donnés des spectacles dans ce lieu
transitoire.
Par la suite celui-ci abritera la société musicale Sainte Cécile, puis, en 1890 les fameuses « Folies Bergères » jusqu’en 1938.
Malgré l’opposition de certains conseillers municipaux voulant reconstruire le théâtre ailleurs, la majorité vota pour la restauration du théâtre au même emplacement. Après bien des tergiversations quant au nombre de places à construire, le théâtre fut rebâti avec le même nombre de places. C’est l’architecte Testu que la municipalité choisit pour reconstituer l’intérieur du théâtre, sous la
surveillance de l’architecte de la ville Fortuné Louis Brunet-Debaine.
Les principaux changements intervenus concernent surtout la toiture en ardoise qui sera refaite en métal et en forme de dôme. Sur la balustrade seront disposées six statues représentant la poésie, la musique, la tragédie, le Vaudeville et la danse. Le péristyle n’est pas encore construit, en examinant les illustrations ci-dessous on se rend compte des changements intervenus entre le premier et
second aspect du théâtre.
La réouverture du théâtre eut lieu le 17 octobre 1844. L’artiste Alexandre lut le discours
d’inauguration écrit par le Havrais François Ancelot, comme l’avait fait auparavant l’artiste Paul pour Casimir Delavigne lors de l’inauguration du théâtre le 24 août 1823.
Une chose peu connue de nos jours, le 7 mars 1849, à l’initiative de la troupe du théâtre, celle-ci
défila dans les rues du Havre en costume afin de récolter des dons en espèces et même en nature. Cette cavalcade comme on la nommait, est l’ancêtre de ce que l’on nomme aujourd’hui le
« Corsiflor ».
Fin de la première partie.
Sources :
Histoire des théâtres du Havre première et deuxième partie de Charles Vesque 1875.
Les embellissements du Havre Aline Lemonnier Mercier CHRH Numéro 59 année 2001.
Annales du Muséum du Havre. Les fondations de 1817 du théâtre du Havre par Philippe Manneville. 1980.
Le Havre 1717-1986. Jean Legoy, Martine Liotard, Henri Dulaurier, Éric Levilly. Éditions du p’tit Normand 1986.
Michel Eloy. Le Havre de 1517 à 1966.
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