Les cinémas Havrais -19- Le REX

Le 41 rue thiers a accueilli plusieurs commerces depuis la fin du XIX^ème siècle. C'est tout d’abord l'hôtel de « bras d‘Or » tenu par un certain C. Letor.

Puis un magasin de vêtements que son propriétaire M^r Sive a baptisé « Aux Gobelins ».
En 1935 avec la fermeture de ce magasin, les habitants du quartier avancent l’idée que ce grand
local vide pourrait devenir un cinéma.

Ce souhait parvient jusqu’aux oreilles d’Armand Chassin, ce dernier a déjà fait preuve d’initiative avec ses premiers cinémas, alors pourquoi pas un nouvel établissement dans le quartier Thiers ? 

Son expérience des milieux cinématographiques et ses connaissances des goûts du public, lui
permettent d’envisager avec tout le sérieux qu’on lui connait, la construction d’un nouveau cinéma doublé d’un music-hall. Celui-ci recevra un nom déjà réputé à Paris le « REX ».

Dès l'élaboration du projet il prévoit tout pour réaliser ce qu’un music-hall et un cinéma avaient
besoin pour fonctionner.

Armand Chassin n’avait eu qu’à se louer des services de l’architecte Henri Daigue pour le Carillon et le Grillon, c’est en toute logique qu’il fait de nouveau appel à lui pour concevoir le REX. 

Il s’efforce également de trouver le meilleur matériel de projection, et ne conçoit pas la salle sans un confort haut de gamme. Un détail parmi d’autres, il recourt aux meilleurs fabricants pour équiper la salle avec notamment des sièges les plus confortables qui soit à l’époque.

La façade initiale du Rex devait-être celle-ci …

… finalement elle sera légèrement différente, mais l’essentiel est là.

Le Rex devait ouvrir le jeudi 31 août 1939 comme l’a annoncé le journal « Le Petit Havre ».
Mais cette inauguration n’a pas lieu ce jour-là. On peut supposer qu’elle fut différée du fait qu’Armand Chassin était mobilisable et la situation militaire trop préoccupante pour envisager
sereinement cette ouverture.

Aussi le jeudi 31 août, jour prévu pour cette inauguration, le journal rectifie l'information et
présente ses excuses.  

Cette inauguration n’a lieu que le 11 novembre de la même année avec un spectacle sur scène
présenté par la troupe du théâtre parisien ABC. La soirée est donnée au profit du colis aux soldats.

Toujours en novembre le REX ou le « Cinéma Music-Hall du Havre » comme Chassin le nomme,
reçoit en première partie du spectacle Edith Piaf devenue une chanteuse de réputation
internationale. 

Cette rencontre entre Chassin et Piaf est marquée du sceau de l’amitié. Plus tard elle se souviendra de l’accueil que lui ont fait les Havrais et reviendra au REX chanter pour eux.

A partir de mai 1940 les établissements publics doivent être fermés. Cette mesure sera levée le 1^er juin, mais avec l’arrivée des allemands tout s’arrête.

Le choc passé, le cinéma peut de nouveau accueillir le public le 7 septembre 1940.

La guerre se passe ainsi avec, de temps à autre,  l’alternance d'un spectacle sur scène en première partie, d’un film en seconde. Mais et ce qui n’est pas prévu au programme, ce sont les alertes
aériennes, et Le Havre en a connu beaucoup.

En septembre 1941 le REX subit les contrecoups du bombardement du grand magasin « Le Printemps » situé juste en face. Sa façade est criblée d’impacts mais fort heureusement sans
conséquence pour le fonctionnement du cinéma lui-même.

À partir de juin 1944 la vie culturelle et sociale des Havrais tourne au ralenti. Les restrictions de toutes sortes affectent la vie de tous les jours. Le ravitaillement est défaillant, le charbon et
l’électricité, font défaut. Toutes ces contraintes n’incitent pas à sortir de chez soi, notamment pour aller au cinéma.

Le prix payé pour la libération est amer pour les Havrais, le maire Pierre Courant dira aux alliés : « Nous vous attendions dans la joie, nous vous accueillons dans le deuil ». Néanmoins malgré leur douleur, ils regardent passer les colonnes de chars notamment devant le REX avec un certain
soulagement.

Après septembre 1944 peu d’établissement culturel sont en état de fonctionner. Quelques cinémas sont encore debout et parmi eux, le Rex. C’est le seul autorisé par le ministère de l’information à
réouvrir, avec un film qui en dit long sur cette période : LIBÉRATION.

Le conflit terminé Charles Chassin reprend en main, les affaires de son père et de son fidèle
associé Pierre Aubourg. À eux deux ils déploient leur savoir-faire en matière de communication pour promouvoir certains films. C’est ainsi qu’en 1954, à l’occasion de la sortie du film « Les Chevaliers de la table ronde », il n’hésite pas à faire appel à des cavaliers costumés posant devant le Rex. ^(1)
(1) Selon certaines sources Chassin serait un des cavaliers.

Charles Chassin n’oublie pas la partie music-hall du REX. Établir une liste de tous les artistes venus dans son établissement serait fastidieux. Citons Bill Halley venu chanter, entre autres, Rock Around the Clock déchainant l’enthousiasme des spectateurs que les fauteuils n’oublieront pas de si tôt.
Puis Gilbert Bécaud venus interpréter ses premiers succès.

Il sera de nouveau à l’affiche l’année suivante en 1955, année du départ du tour de France Cycliste.

Le 30 octobre 1962, une soirée de gala est organisée à l’occasion de la sortie du film de Darryl F. Zanuck, « Le jour le plus long » diffusé au REX en avant-première. Celle-ci est placée sous le double patronage de la Croix Rouge et de l’Amicale des journalistes Havrais. Le public est composé de nombreuses personnalités Havraises, civiles, militaires, et religieuses.

En 1963 et 1964, le REX ayant besoin d’une remise en état, on profite de ces travaux pour lui donner un style plus contemporain, bien différent de celui d’Henri Daigue et on installe un écran pour les films au format 70m/m.

Le matériel de projection est aussi renouvelé les nouveaux projecteurs ont les bobines de film à chargement à plat au contraire des anciens à chargement classique c’est-à-dire vertical au-dessus et en dessous du projecteur.

Les Photos de Marc Georges Boulenger permettent d’avoir un aperçu sur ce que fut la salle.

Le REX continue ainsi avec la diffusion de films en exclusivité, mais la crise du cinéma des années 1970 ne l’épargne pas, aussi pour limiter les pertes les rediffusions sont à l’affiche. 

Pour compenser le manque à gagner les cinémas proposent ce que la télévision ne pouvait pas montrer, la pornographie. 

Le REX ne succombe pas à la tentation, cependant sa programmation s'oriente vers des films
interdits aux mineurs ou délibérément érotiques. Deux exemples parmi d’autres de films destinés aux adultes.

En 1980 Charles Chassin met fin à sa carrière professionnel et ferme définitivement le REX
emmenant avec lui son fidèle collaborateur Pierre Aubourg. 

En 1982, les travaux de transformation commencent. Ils auront pour finalité la création d’un magasin spécialiste en électroménager, matériel informatique etc. S’en était finit du REX le « ROI » avait
perdu sa couronne à tout jamais.

Mes remerciements Laurent Comar pour sa documentation.
Sources :
La Cinématographie Française.
Le Petit Havre via Gallica.
Presse Havraise Havre : Libre - Havre Presse.
Annuaires Micaux de différentes années.
Crédit photos :
La Lanterne Magique MGB.
Cédric Conseil.
La Cinématographie Française.
Dan.

Merci de votre visite. Pour cette saga des cinémas du Havre,
exceptionnellement Havrais-Dire Paraîtra tous les dimanches matin jusqu’à la fin de cette série. La semaine Prochaine :  Le Paris

Comments

[Agnes Coursault]

Mais que seraient les cinémas d'autrefois sans Henri Daigue !

Ce Rex, je l'ai beaucoup fréquenté, bien placé dans le centre ville, il était facile d'y venir.

Super la photo au début de "l'hotel du Bras d'Or"...on se demande pourquoi ce nom !

Merci pour tes recherches c'est un plaisir pour tes lecteurs !

[havrais-dire]

Re bonjour Agnès, Je me suis posé la même question à propos de Daigue, il a quasiment conçu tous les cinémas du Havre, avant et après-guerre et quand il ne les a pas conçus il en a été l’instigateur comme l’Alhambra. Oui, qu’aurait été les cinémas sans lui ?
Le mot « Or » attire la clientèle, et quand ce n’est pas un hôtel c’est un restaurant, même s’il est précédé du mot « Lion ». À une époque tout était d’or, aujourd’hui tout est anglais, question d’époque.
Bon dimanche Agnès.

[Gerard Fribouket]

Bonjour Dan.
L'hotel du Bras d'Or hébergeait déjà des spectacles.
Dans un de ses articles, Alphonse Petit rappelle qu'en 1844 le cirque Franconi s'était installé dans la grande cour derrière l'hôtel.
Sur un plan de 1860 on voit effectivement cet espace sur lequel a probablement été érigé le hangar abritant la salle de spectacle du REX.
Toujours hate de voir tes publications dominicales.

[havrais-dire]

Salut Gérard,
On est parfois bien surpris quant on fouille dans les archives, Franconi s’est donc installé là où sera le REX ou tout du moins dans la cour derrière l’hôtel du bras d’or. Dans ce secteur il semblerait qu’il y eut plusieurs endroits où des forains se soient installés comme là où était Desforges, mais dans un bâtiment en dur, pas un chapiteau. Comme quoi, si on creuse bien, on finit par découvrir des choses étonnantes.
Bonne soirée Gérard.

[FAH]

Bonjour Dan,
Encore des photos extraordinaires sur ce fameux Rex ! Je n'y suis allée que rarement, mais je pense que les fauteuils devaient être d'époque car ils étaient un peu fatigués. Ils en voyaient de belles ... Les extraits de journaux aussi sont intéressants, ils montrent des films complètement oubliés comme celui de Pagnol : Monsieur Brotonneau ...
Une petite question : tu écris Chassin, dans les journaux c'est Chassain. Pourquoi ?
Bonne journée !
FAH

[havrais-dire]

Bonjour Françoise,
Grâce à monsieur Comar et mes propres archives j’ai pu reconstituer l’histoire de ce cinéma et en faire profiter tous les lecteurs. Quant au nom « Chassin ou Chassain » la question est difficile à trancher. Dans les Micaux il est orthographié des deux manières alors que ce sont toujours le père Armand et le fils Charles qui sont mentionnés comme étant les directeurs du REX et de bien d’autres cinéma comme Le Paris. Dans un des derniers article du journal Havre Libre consacré à Charles Chassin son nom est ainsi orthographié « Chassin » !
Alors lequel choisir ? ! J’ai opté pour Chassin le dernier que j’ai pu lire dans l’article du Havre Libre. Mais peut-être ai-je tort ? Mais en l’écrivant ainsi le lecteur ne pourra pas le confondre avec l’instituteur n’ayant aucun lien de parenté avec Armand et Charles, je veux parler de Pierre Chassain bien connu pour être un des spécialistes des cinémas Havrais. Alors à tout prendre…
Bonne journée Françoise.

[E.C.]

Ah ! c'est très émouvant de voir cette historique du " REX " ,41 rue Thiers , cher Dan : avec mes parents , mes frères et soeurs , je suis y allé très souvent ,depuis mon adolescence ,quand il était présent ! Il était ,en effet , à côté de la " pharmacie commerciale " ,et maintenant ,depuis un bon moment ,remplacé par " Darty " ... BRAVO encore pour cette historique . Bisous à toi et à ta famille . E.C.

[havrais-dire]

Bonsoir Étienne,
Sachant où tu habitais à l’époque, le REX devait être un des cinémas les plus proche de ton domicile, et il faut bien reconnaitre que sa programmation était excellente. Cinéma et pharmacie ont été remplacé par Darty un magasin qui vend entre-autres des téléviseurs, une sorte de retour en arrière pour cet endroit.
Bonne soirée Étienne, ainsi qu’à Odile.

[elisabeth]

Il y avait un cinéma REX à Montpellier, quand je suis arrivée au milieu des années 70, je ne sais pas quand il a été fermé mais je sais que c'était des films pornos ou érotiques qui y étaient diffusés. Le Rex du Havre a ouvert au mauvais moment mais la guerre couvait. Monsieur Chassin a cependant tenu bon et avec courage en proposant de belles programmations avant le tournant en 1970. Je me souviens du film Le jour le plus long qui est passé à la télé dans les années 60 et que j'ai donc pu voir sans aller au cinéma. Mon grand père né en 1893 était venu le voir chez nous, car il n'avait pas encore la télé chez lui. Merci pour ce récit bien illustré. Bon dimanche.

[havrais-dire]

Bonsoir Élisabeth,
C’est dans les années 1970 que les salles de cinémas ont commencé à périclitées. Pour faire face à la baisse de fréquentation les directeurs de salles n’avaient pas d’autre choix que de proposer ce que la télé ne pouvait faire, c’est-à-dire des films pornographiques pour les petites salles et les films à caractère érotique pour les plus prestigieuses.
Avec votre témoignage on se rend compte que c’était partout en France que la crise s’sévissait.
Quant au film « Le jour le plus long », c’est un des longs métrages que la télévision diffuse régulièrement, surtout au mois de juin.
Bonne soirée Élisabeth.

[LAINE]

Encore un sérieux travail de recherches et une compilation de qualité. J'ai fréquenté ce cinéma sans en connaitre l'histoire. Merci Daniel ! Bon dimanche. Amicalement

[havrais-dire]

Bonjour Didier,
Quand on va au cinéma on ne s’interroge pas sur son histoire, ce qui nous importe c’est de savoir si l’on allait voir un bon film c’est tout. Quant au travail se recherche il faut que je mentionne particulièrement Laurent Comar qui m’a fourni des compléments d’informations essentielles non seulement pour le REX mais pour tous les autres cinémas. Je te suggère d’aller revoir mes deux articles sur l’Alhambra et l’Empire que j’ai remaniés grâce à laurent, tu constateras que ces documents sont tout simplement extraordinaires.
Bon dimanche à toi et Michèle.

[GERARD DESHAYES]

Bonjour Dan,
Le Rex, un cinéma que j'ai bien connu et souvent fréquenté. Mais j'ai le souvenir des grandes affiches à côté des grandes lettres "REX". Et je me souviens particulièrement de l'affiche du film "La bride sur le cou" avec Brigitte Bardot. Si tu la retrouves, tu comprendras pourquoi elle a suscité quelques émois dans ma vie d'adolescent.
Par contre, je ne savais pas qu'il avait été également un music-hall. Encore un dimanche matin où j'ai appris quelque chose...
Bon dimanche.

[havrais-dire]

Bonjour Gérard,
Effectivement le REX avait de grandes affiches de chaque côté, j’en parle en connaissance de cause car l’orque j’étais peintre en lettre décorateur j’en avait peint une pour le film « Le jour le plus long ». Ces affiches étant peintes dans les anciens établissement Gallet ma première entreprise.
Pour l’affiche de « La bride sur le cou » bien que n’ayant pas souvenir de celle-ci, il me suffit de savoir qu’elle représentait la fameuse « BB » pour comprendre tes émois d’adolescent, étant de la même génération j’aurais été tout aussi ému que toi.
On oublie trop souvent que le REX fut un music-hall, tout comme l’ABC d’ailleurs, et on lit dans les archives que Chassin hésitait à faire soit un music-hall uniquement ou un cinéma seulement. Il disait que ce seraient les Havrais eux-mêmes qui m’orienteront sur l’une ou l’autre formule, et finalement il a choisi les deux ainsi il gagnait sur les deux tableaux.
Bon Dimanche Gérard, ainsi qu’à Michèle.

[Goe LH]

Salut Dan, qu'est devenu Armand Chassin ? On passe à son fils juste après la guerre. A priori le fils Charles né le 17/09/1924 à Mayenne est mort à Saint-Valery en Caux le 28/09/2001

[havrais-dire]

Bonjour Goé,
Armand-Émile Chassin est mort en 1962, sa nécrologie ne précise pas où il a été enterré, peut-être dans la Mayenne où il était originaire. Son fils Charles a repris ses affaires et fut lui aussi un fervent défenseur du cinéma, et tu m’apprends qu’il est enterré à Saint Valéry-en-Caux, car sa biographie précise seulement qu’il passait sa retraite à Octeville sur mer et jouait au golf. Comme quoi on en apprend tous les jours.
Bon dimanche Goé.

[LEFORT FRANCOISE]

Le REX ! Dans mon souvenir, l'étape incontournable, le rituel aux fêtes de Noël avec LE dessin animé de Disney que ma mère m'emmenait voir(années 1965/70) . C'était toujours au REX.
Juste une question concernant la pharmacie mitoyenne: les vues anciennes montrent une structure métallique au niveau supérieur, sais tu à quoi elle servait? Sauf erreur de ma part, on ne voit rien "dessus" ( publicité.... ?)
Merci pour ton travail de fourmi et bon dimanche cher ami.

[havrais-dire]

Bonjour Françoise,
Le REX organisait des Noël en effet, d’autres cinémas en faisaient autant, notamment le Normandy. Pour ma part c’est avec l’école que je suis allé au REX, j’y ai vu le film « Le Bourgeois Gentilhomme » et moi qui avait du mal à apprendre mes leçons par cœur, je me demandais comment les comédiens pouvaient retenir autant de texte ! ?
Quant aux structures au-dessus de la pharmacie c’étaient des supports de panneaux publicitaires au début du XXème siècle. Je me suis toujours demandé pourquoi ils n’avaient jamais été démontés plus tôt puisqu’ils ne servaient plus à rien. Ils furent démontés bien plus tard au début des années 50.
Bon dimanche Françoise.

[Le Quellec]

Merci pour ces moments de bonheur. Aussi pour ce patient travail.Merci.

[havrais-dire]

Bonjour monsieur Le Quellec,
Si vous prenez plaisir à lire mes articles ce plaisir devint aussi le mien. Merci et bonne journée monsieur Le Quellec.