Albert–René Morice dit « Albert René » Par Jean-Claude Le Guillou
Aujourd’hui Havrais-Dire donne la plume à Jean-Claude Le Guillou. Arrière-petit-neveu d’Albert René.
Albert–René Morice dit « Albert René »
Par J.-C. Le Guillou, août 2014
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Albert-René Morice. Né au Havre le 27-04-1856
Publiciste, caricaturiste, peintre
Décédé au Havre le 27-06-1930 (sans postérité)
Fils de Pierre-Amable Morice, charpentier de navire originaire d’Arromanches (14) et de Eliza-Désirée Frémy (1) originaire d’Ablon (14)
(1) – Eliza-Désirée Frémy était la fille de Julie-Eliza Berthelot (1809-1875), issue d’une lignée de capitaines de navires honfleurais réputés depuis le début du XVIIe siècle. Le plus illustre avait été Pierre Berthelot (Honfleur 1600-Sumatra 1638) qui, après avoir été marin, était entré en religion sous le nom de « Père Denis de la Nativité ». Sa vie exemplaire et sa mort en martyr de la foi lui valurent d’être béatifié par le pape Léon XIII. (Il est aujourd’hui particulièrement vénéré dans l’église Ste Catherine de Honfleur, sa
paroisse.)
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Né au Havre, Albert René avait été mis en nourrice peu après sa naissance chez un couple demeurant à Ablon au quartier du Noyer, à deux pas de la maison où vivaient ses grands-parents maternels Louis-Auguste Frémy et Julie-Eliza Berthelot.
Adolescent, il devint interne au collège de Honfleur. (2) Ce fut là qu’il se lia d’une amitié complice et durable avec son condisciple Alphonse Allais (1855-1905), dont on sait quelle fut la brillante carrière d’auteur humoriste.
(2) –A cette époque le collège de Honfleur était dirigé par Arthur Boudin (1836-1907). En juin 1893, son ancien élève Albert-René lui avait rendu hommage en dessinant son portrait à la plume, publié en
première page du premier numéro du Petit Normand de Honfleur, sous le titre « les gens de chez nous ».
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En 1874, à la mort de son père, Albert-René rentra au Havre. Alors âgé de 18 ans, il commença sa vie professionnelle comme pigiste au journal du Havre. Il y resta jusqu’en 1876, moment où il fut contraint de s’acquitter de ses obligations militaires.
Rendu à la vie civile, on le retrouvait en 1880, collaborateur d’un hebdomadaire havrais nommé la « Revue comique » auquel il fournissait des caricatures qui connurent un succès considérable, tant auprès des lecteurs que des critiques : « ce dessinateur, au crayon à la fois souple et gras, rappelle quelquefois Daumier, et traite les sujets politiques avec un style remarquable. » En décembre 1885, s’étant lassé de sa collaboration avec le directeur de la Revue Comique (M. Lepelletier), Albert-René était entré en relation avec les imprimeurs-éditeurs havrais Maudet et Godefroy. Ensemble ils fondèrent un journal
satirique qui, nommé « la Cloche Illustrée », remplaça « la Cloche havraise »
précédemment publiée par Maudet et Godefroy.
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C’est aussi à cette époque que Albert-René créa un spectacle d’ombres chinoises
burlesques qu’il présentait dans une salle à l’entresol du Café des Fleurs place Gambetta au Havre. Non pas seul, mais en compagnie d’une dizaine de joyeux compagnons dont l’un des rédacteurs de « la Cloche » Albert Fox (pseudonyme de Albert Herrenschmidt), des poètes Henri Brière et Charles Picard, des peintres Arvid Johansson (futur peintre officiel de la Marine) et Georges Fauvel (qui venait de remporter sa médaille d’or au Salon), et le pianiste-compositeur Ph. Simon. On peut aussi citer Heuzé, Huré et Lenfant de Metz.
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C’était dans cette minuscule salle que, de temps à autres, Alphonse Allais venait
prêter main-forte à son ami d’enfance Albert-René. Arrivant toujours à l’improviste, il se trouvait un rôle en se mêlant à l’orchestre où il n’hésitait pas à battre la grosse-caisse. Le soir de la première du spectacle intitulé « La fondation du Havre », Henri Brière fit observer à Allais « qu’il battait à contre-temps et que les arquebusiers de François 1er ne pourraient jamais défiler en bon ordre sur une cadence aussi invraisemblable ». Ce à quoi Alphonse Allais répondit : « C’est bon. Vous venez de violer les mondes d’harmonie que j’ai dans le cœur… Le tambour lâcha ses baguettes, se drapa dans sa dignité d’homme de mesures méconnu, fit un beau geste et disparut… Allais avait déjà repris le train de dix heures… » Bien sûr Allais avait feint l’indignation, uniquement pour ne pas rater le train de Paris… Du reste son amitié complice avec Albert-René ne se démentira jamais, et l’on en trouve
encore la preuve lorsqu’ils composèrent ensemble la revue « Eh ! Placide » en 1901 à Paris.
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Après le Café des Fleurs, était venue la période de L’Alcazar, un joli théâtre de style hispano-mauresque qui se trouvait rue Thiers derrière l’Hôtel de Ville du Havre. Là, en plus des ombres chinoises, Albert-René et ses amis avaient commencé à jouer ou faire jouer des petites scènes satiriques qui s’enchaînaient pour former une sorte de revue. Peu après qu’un incendie eut détruit l’Alcazar (1890), Albert-René monta sa première vraie
revue à grand spectacle avec décors et costumes (saison 1890-1891) dans la salle de concerts « Sainte Cécile » (54 rue Frédéric Lemaître près des Halles). Bientôt remaniée par l’architecte Théodore Huchon, cette salle devint le « théâtre des Folies-Bergère » où, au fil des années, Albert-René allait faire jouer plus de 100 revues qui ont marqué leur époque.
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En même temps, dans l’hebdomadaire « la Cloche Illustrée », Albert-René publiait maintes caricatures illustrant des articles humoristiques sur divers sujets d’actualité
nationale ou locale. Au milieu des années 1890, l’une des personnalités havraises les plus malmenées par ses caricatures était M. Auguste Rispal. Il faut croire que celui-ci n’avait pas tenu rigueur à Albert-René de l’avoir souvent raillé, bien au contraire, puisque
lorsqu’il fut élu député de la Seine-Inférieure en 1897, Auguste Rispal fit de son
caricaturiste son secrétaire personnel et l’emmena à Paris avec lui.
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C’est ainsi qu’Albert–René s’installa avenue des Tilleuls, c’est-à-dire dans un secteur idéalement bien placé pour lui, à mi-pente de Montmartre, et à deux pas du cabaret « Le Chat Noir » boulevard de Clichy. Bien organisé, il aménagea son emploi du temps : le matin était réservé aux séances de travail chez M. Rispal, puis à la rédaction du courrier officiel ; à midi (et le soir) venait le moment de l’apéritif quotidien entre amis dans un café de la rue Lepic. C’était l’instant privilégié où il pouvait observer le petit peuple de la rue et les
bourgeois de passage ; l’après-midi, il pouvait se consacrer à ce qu’il aimait : brosser les caricatures qu’il fournissait au « Charivari », rédiger la trame de ses revues, et soigner ses pamphlets illustrés, dont le plus virulent (et contestable…) fut les « Les Comberies ».
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Talentueux dans tous les genres artistiques, Albert-René était aussi un bon peintre-paysagiste. Très rigoureux dans son travail, il commençait chacune de ses œuvres « sur le motif » par un ou plusieurs croquis au crayon sur un petit carnet, puis par une esquisse à l’huile sur bois ou sur carton, avant de réaliser sa toile en atelier. Ses paysages de la
campagne normande, toujours d’une facture agréable, peuvent se classer dans le genre de « L’Ecole de Honfleur ». Il en subsiste un assez grand nombre, aujourd’hui conservés dans la descendance de sa nièce Germaine Morice (3), et dans plusieurs collections privées (car Albert-René offrait et vendait beaucoup). De son œuvre peinte, qui mériterait d’être mieux connue, se dégage principalement une intéressante vue de la plage du Havre à marée basse, prise depuis Sainte-Adresse. (Coll. Part.) ainsi qu’une vue de l’entrée de Honfleur en venant de Pennedepie (Musée Eugène Boudin, Honfleur, Donation Hambourg-Rachet).
(3) Germaine Morice avait épousé en 1912 le peintre Achille-Eugène Godefroy (1882-1914), estimé pour ses œuvres peintes dans le gout classique. (Au Havre, le Musée « MUMA » conserve la toile de son prix de Rome 1904). Leur fils Georges Godefroy (1912-1974) fut l’auteur de plusieurs études historiques et de nombreux romans policiers, dont certains furent adaptés au cinéma. En particulier « La Horse » qui se déroule au Havre, et « l’homme à la Buick », tourné à Honfleur en 1966.
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Peu après sa mort en 1930, sa mémoire fut honorée par la municipalité du Havre qui lui consacra une « Place Albert-René » dans le centre-ville. Il était alors question d’orner cette place en y plaçant un buste en bronze dont la réalisation serait confiée à Alphonse Saladin sculpteur et conservateur du Musée des Beaux-Arts du Havre. Saladin exécuta le buste en plâtre (il existe encore) mais, faute de crédits, la fonte ne se fit pas. Quant à la Place elle-même, anéantie par les bombardements de 1944, elle a été reconstruite et rend toujours hommage à la mémoire d’Albert-René. (4)
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(4) – Sources : archives familiales de ses petits-neveux, Notice officielle des Archives Municipales du Havre, dans la rubrique personnalités :( Consultable sur le site des Archives). Arch. Départ. Du Calvados. Notice biographique par Paul Védrine « Marrons sculptés », édit. Maudet & Godefroy, Le Havre 1887 ; p.p. 119 à 125. Journal « Havre Libre » 24-04-1956. D. Bougerie « Honfleur et les Honfleurais » Tome V, édit. Marie, Honfleur, 2009, p. 110.
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La semaine prochaine un autre témoignage, celui de Yvette et Roger Garreau, ce
dernier était le commandant du « Liberté » lorsqu’il a rompu ses amarres dans le port du Havre. Un récit à chaud des circonstances de l’incident.
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