Le naufrage du ‘LIBERTÉ » raconté par son commandant.
Aujourd’hui, c’est une de nos lectrices, Geneviève Garreau-Gautier, qui nous propose le
témoignage de ses parents. Son père était le commandant du paquebot « Liberté » au moment de son naufrage le 8 décembre 1946. Leur récit nous permet d’avoir un regard plus précis sur les circonstances de cet accident.
Hormis la première photo de madame Garreau-Gautier avec son père, les illustrations de cet
article proviennent de collectionneurs ou de Havrais-Dire. Les légendes ont été ajoutées pour plus de précisions.
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Extrait de la bibliographie de Roger Garreau par son épouse, Yvette Garreau. Voici, le récit en
italique, de Roger Garreau.
Le naufrage du « LIBERTÉ »
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Préambule par Yvette Garreau :
Quand on navigue, le pire accident qui puisse vous arriver c’est de faire naufrage… eh bien, Roger n’a pas échappé à cette éventualité : il a fait naufrage… mais, ce qui est plus original, c’est qu’il a fait naufrage au port, dans un bassin du Havre, alors qu’il était à bord du « Liberté ».
De plus, il a connu ce sinistre tout au début de sa carrière, au cours de son 2ème embarquement, il n’était encore que « pilotin » (Jeune marin qui étudie pour devenir officier de marine marchande).
Cela s’est passé le dimanche 8 décembre 1946.
Je lui laisse la parole pour vous faire le récit de l’aventure (courrier écrit le 10 décembre 1946).
Dimanche soir, il y avait un vent du tonnerre. En 24 h, le baromètre était tombé de 745 à 723,5. J’étais allé faire un tour aux aussières vers 21 h 45. On tenait debout sur le pont, mais, au bout de trois minutes, on était complétement abruti. Les fines gouttes de pluie cinglaient comme des
glaçons. Hello y était retourné une demi-heure après. Il venait de remonter sur la passerelle où il y avait le Commandant Lescaret, Cuquemelle, lui et moi.
Il y avait une légère houle dans le bassin et l’eau remontait parfois sur le terre-plein.
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Tout d’un coup, à 22 h 35, nous avons entendu casser une aussière de l’avant et, en 20 secondes, nous les avons toutes vues se casser, des gerbes d’étincelles jaillissant des chaumards.
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En 3 minutes nous nous sommes retrouvés de l’autre côté du bassin, l’avant sur le quai Joannès Couvert et le flanc était venu heurter l’épave du Paris qui gisait là.
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Aussitôt après, nous recevons un coup de téléphone des mécaniciens annonçant une voie d’eau dans la machine arrière, laquelle devait être remplie en 10 minutes.
Ensuite les choses se sont passées avec moins de précipitation.
Naturellement, on pompait. Mais, pour alimenter les pompes, les tuyautages de vapeur devaient
traverser le compartiment inondé. La vapeur se condensait et la pompe fonctionnait mal.
Aussi, l’eau montait-elle dans les deux compartiments adjacents : machine avant et moteurs
auxiliaires d’où dépendaient pompage et éclairage, car les cloisons étanches ne le sont jamais
complétement, surtout quand elles sont, elles-mêmes, en cours de réfection.
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Puis, à partir d’une certaine gîte, l’eau du compartiment envahi a atteint le plancher du Pont E. Celui-ci étant encore moins étanche que les cloisons, la partie bâbord de la salle à manger des Secondes, puis celle des cuisines se sont trouvées inondées à leur tour.
Pendant ce temps, notre opinion à tous était celle-ci : si le bateau ne chavire pas à basse mer, tout cela n’est pas trop grave. Or, la basse mer était à 5 h 25 et, à cette heure-là la gîte ne devait pas dépasser 5°. Nous pensions que tout était sauvé, que l’essentiel était d’éviter à tout prix l’envahissement des compartiments des moteurs auxiliaires.
Mais, au début de la marée montante, à partir de 7 h 30, la gîte se mit à augmenter de plus en plus rapidement.
Vers 8 h 15, comme elle était de 12 à 13°, le Commandant donna l’ordre d’abandon du navire.
L’évacuation
L’évacuation commença par bâbord et j’avoue que je n’étais pas très rassuré en surveillant les
débuts car, si le bateau avait alors chaviré brusquement, la cheminée avant aurait mis en bouillie les embarcations et leurs occupants.
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Par prudence, l’évacuation se fit ensuite par tribord mais les embarcations refusaient de descendre car la gîte était trop forte et elles se trouvaient arrêtées par la coque.
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Ce sont, alors, soit des embarcations mises à l’eau auparavant, soit des vedettes du port qui nous ont recueillis.
J’ai, pour ma part, évacué le bord vers 9 h, dans la dernière embarcation qui ait participé à l’évacuation générale. J’estime très grossièrement que la gîte était, à ce moment-là, de 30 à 35°.
Les échelles étaient trop courtes de 3 bons mètres pour atteindre l’eau ; les occupants des vedettes nous attrapaient par les mollets.
Au bout de deux heures, la gîte paraissant stabilisée, nous sommes nombreux à être remontés à bord pour prendre nos affaires. Personnellement, j’ai réussi à tout récupérer en un minimum de temps… pendant que le bateau se redressait.
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On ne sait pas encore très bien pourquoi le bateau s’est redressé. Vraisemblablement cette chance est due à l’envahissement brusque des compartiments bas et avant du navire par l’eau venant du pont C, ce qui fait que le navire s’est échoué par toute sa surface sur le fond de vase du bassin.
Un service de garde a aussitôt repris à bord et je viens d’y passer 24 h.
Voilà… le seul responsable est le port autonome du Havre qui nous a fait mettre sous le vent d’un quai alors qu’il pouvait probablement nous caser de l’autre côté du bassin.
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Merci à madame Garreau-Gautier de nous avoir transmis et autorisé à diffuser cette archive
familiale.
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Cet article conclut la saison 2024 – 2025.
Pour ceux qui le veulent, rendez-vous le 11 septembre pour ma conférence sur les cinémas Havrais à 18 h au fort de Tourneville.
Sinon rendez-vous ici même pour la saison 2025-2026 fin septembre ou début octobre.
À toutes et à tous Havrais-Dire et ses amis vous souhaite de très bonnes vacances