Les rideaux « réclame » et les Ets Gallet
Tout commence avec André Gallet et son entreprise de peinture vitrerie rue du docteur Maire, une artère qui n’existe plus aujourd’hui. Son fils Jean, quant à lui, avait une entreprise de peinture au 50 boulevard Foch.
André Gallet en plus de son travail, composait des rideaux de théâtre dans les années 1930, mais il faut attendre 1935 pour voir la création des Ets Gallet spécialisés dans les rideaux « réclame ». Son fils Jean en devient le fondé de pouvoir.
La même année, ils s’établirent au 17-19 rue Paul Souday, dans des locaux ayant déjà donné asile à plusieurs entreprises, notamment la maison Habert ci-dessous :
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André Gallet avait bien compris que le cinéma était le lieu par excellence pour la diffusion de la
publicité. N’oublions pas qu’à cette époque seuls les journaux, les magazines et l’affichage public en diffusaient.
En 1959, ils occuperont l’ensemble des bâtiments des numéros 17 à 21.
Basée sur des méthodes artisanales et artistiques, la fabrication des rideaux évoluera peu au cours des années. Seules les peintures fluorescentes apporteront une innovation dans ce métier artisanal par excellence.
Le premier travail
Tout commence avec les représentants de commerce accompagnés de techniciens. Ils visitent les exploitants de cinéma et leur proposent un contrat de trois ans pour un rideau publicitaire. Après accord, les dimensions de la scène où sera monté le rideau étaient prises sur les lieux même. Parallèlement, les courtiers prospectaient les commerçants locaux afin de leur proposer un espace publicitaire sur le futur rideau.
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Quand le nombre de clients est jugé suffisant, la seconde étape est de dessiner une maquette du
rideau et du contenu des cases. Celles-ci sont conçues d’après les indications des
commerçants. Ce modèle sera ensuite reproduit sur le rideau par les compagnons. Ci-dessous le bureau des maquettistes, et un exemple pour le magasin VOG à Chalon sur Saône.
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La fabrication d’un rideau
Mais avant d’en arriver au rideau terminé, celui-ci faisait l’objet d’un travail en amont très important. Les techniciens ayant donné les dimensions du rideau, ce sont les couturières de l’entreprise qui le confectionneront selon les mesures fournies.
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Après quoi, le rideau cousu, il fallait le tendre et le clouer sur le plancher. Ce dernier devait être
soigneusement balayé afin qu’aucun objet, si petit soit-il, ne puisse être coincé sous la toile.
Une fois le plancher nettoyé, on y traçait au cordeau le cadre du rideau à tendre.
Sa fixation est réalisée à l'aide de petites pointes à tête plate appelées « semences ». Elles sont clouées tous les 5 centimètres environ. Il ne fallait pas les enfoncer complètement afin de pouvoir les enlever facilement le rideau terminé.
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Vient ensuite l’application au pistolet d’un apprêt incolore composé d’os de poissons broyés,
mélangé avec du Borax et de l’acide borique. Ce traitement rend la toile souple et
ininflammable.
Un rideau est composé de plusieurs zones, la première bien sûr, est celle des publicités (1), La deuxième, ce sont les bordures (2) devant lesquelles les rideaux du cinéma se positionneront. La troisième est celle ayant servi à clouer le rideau sur le plancher (3). Elle sera découpée au ciseau le rideau terminé.
La dernière est représentée par deux fourreaux, (en gris sur le plan), dans celui du haut plus petit, une barre servira à la suspension du rideau sur la scène. Dans celui du bas sera introduit un
rouleau en bois puis fixé à la toile. Il agissait par enroulement sur la montée et descente du rideau. Toutes ces manœuvres sont invisibles du public, le mécanisme étant dans les cintres ou derrière le rideau de scène côtés "Jardin" et " Cour".
(Jardin à droite pour le public, et cour à gauche)
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Un fois sec et tendu, commence le travail du traçage du décor et des cases selon une maquette préalablement dessinée. On utilisait soit des craies ou du fusain pour ce travail.
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Pour tracer des figures géométriques on utilisait toutes sortes d’instruments, compas, rapporteurs équerres etc. On nous avait fabriqué des règles à manche pour tracer les lignes droites tout en
restant debout. D'une main on traçait la ligne, de l'autre on tenait la règle.
Ci-dessous un exemple de l’utilisation d’une règle.
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Pour peindre lettres et décors nous utilisions une peinture que nous préparions nous même. Elle était composée de pigments en poudre liés par une colle chaude. Cette dernière devait être en effet chauffée pour être liquide. Quand la peinture refroidissait et devenait gommeuse nous la
réchauffions sur un réchaud à gaz.
Outre cette peinture, nous en utilisions une à base de latex. Une autre, plus rare, était fluorescente. Celle-ci n’était visible que sous lumière ultra violette (UV) dite « lumière noire ». Il fallait plonger l’atelier dans l’obscurité, allumer ces « lumières noires » pour pouvoir la peindre. C’est ainsi que la publicité du rideau de scène du théâtre du Chatelet à Paris a été peint.
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Pour travailler sur le rideau nous devions avoir des chaussures à semelles lisses en cuir et sans
relief, afin de ne laisser aucune trace sur la toile. Les chaussures à semelles de crêpe ou en
caoutchouc étaient formellement proscrites.
Bien souvent les décorateurs étaient simplement en chaussettes afin d’être à l’aise et respecter cette injonction. Nous utilisions également du papier « kraft » » pour nous asseoir ou poser notre boite à outils appelé « portoir » comme on peut en voir un au bas de la photo ci-dessous.
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Une grande partie de la préparation des rideaux était dévolue aux apprentis dont j’étais alors.
Ci-dessous l’atelier supérieur. Les deux ateliers étant chacun à un niveau différent.
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Ci-dessous le rideau du cinéma Royal du Havre en 1961.
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Si les ateliers des peintres étaient le cœur de l’entreprise, les services techniques en étaient le
prolongement. Composés de techniciens qualifiés, ces derniers étaient chargés de prendre les
mesures des futurs rideaux et de les poser ensuite.
Ils intervenaient également pour toutes réparations concernant le mécanisme des rideaux. Ils
pouvaient réparer un accroc sur le rideau et le repeindre de la même manière.
Leurs ateliers et magasins étaient au rez-de-chaussée de la rue Paul Souday.
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L’administration
Toute entreprise a besoin d’une bonne organisation pour fonctionner, celle des anciens Ets Gallet était assurée par le personnel du bureau administratif. Différentes fonctions y étaient exercées :
logistique, comptabilité et relations avec la clientèle.
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Les Hommes
Outre ses fondateurs, les anciens Ets Gallet ont été dirigés pendant de longues années par Yvonne Fleury assistée de Jean Duval et. Robert Pichard. C’est ce dernier qui m’avait embauché en 1961.
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Robert Pichard était un décorateur hors pair, embauché en 1937 comme apprenti, il a par la suite conçu non seulement les rideaux réclames, mais surtout les décors de théâtre. Aidé en cela par Émile Rélu. Il était vice-président de la compagnie « Variété » avec son ami Bernard Jouen, alias « Berjo ».
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Deux autres personnages avaient leur importance dans la hiérarchie de l’entreprise, il s’agit de MM Émile Rélu, chef d’atelier, (1) et son adjoint Roger Guerrant (2) sur la photo ci- dessous.
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Je ne possède, hélas, aucun document qui m’aurait permis de raconter la fin de cette entreprise. J’en suis parti bien avant sa fermeture. Le dernier annuaire Micaux (1974) en fait encore mention, mais depuis plus rien.
D’après un témoin, monsieur Champin, l’entreprise fut rachetée par « Omni-Ciné ». Si ce
monsieur veut compléter son récit écrit en 2014, c’est avec plaisir que je lui ouvrirai nos colonnes, en attendant cette éventualité, voici son témoignage :
Bonjour,
J’ai travaillé aux anciens Ets Gallet en tant que technicien pour les installations scéniques, puis pour Omni Ciné qui avait racheté l’entreprise.
Aujourd’hui en reprenant l’enseigne, nous réalisons et publions des rideaux publicitaires numériques sur le même principe de cases.
Nous en avons mis d’ailleurs un en place au Sirius du Havre Nous avons actuellement environ 40 rideaux en France et continuons le développement.
La publicité au cinéma évoluera au fil du temps. Elle est désormais filmée. Dans ce contexte,
l’entreprise « Gallet » ne pouvait que péricliter.
Le bâtiment ayant abrité les Ets Gallet a été démoli, remplacé par celui qui aujourd’hui héberge « France Travail ».
Sources :
Souvenirs personnels de mon travail dans cette entreprise.
Annuaires Micaux de différentes années.
Journaux Havre Libre et Le Havre Presse.
Témoignages : André Boggio - Pasqua, Guy Lorec.
Crédits photos :
La Lanterne Magique MGB
Collection Havrais-Dire.
La semaine prochaine, un article sur Albert René par un de ses arrières-petits neveux monsieur Jean-Claude Le Guillou.
Merci de votre visite.