Le franchissement de la Seine. Deuxième partie
Sur la photo aérienne ci-dessous, on distingue parfaitement les travaux de canalisation de la Seine en aval du débarcadère de Berville. L’endroit pour la construction de ce dernier ne pouvait pas être mieux choisi, vu que ces travaux sur la Seine se poursuivront après la mise en service du bac.
De plus c’est la limite entre la zone fluviale et maritime ce qui équilibre l’ampleur des marées.
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Après deux ans de service, le bilan de l’année 1934 pour le bac, fait état de 60.000 voitures
transportées, 100.000 tonnes de marchandises acheminées par camions et 337.429 voyageurs.
Une comptabilité somme toute assez remarquable malgré les reproches qu’on fait au service rendu par le bac.
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Ces reproches concernent, entre autres, sa lenteur à l’accostage, ou le fait qu’il ne fonctionne pas la nuit. Un lecteur du journal « Le Petit Havre » du 22 septembre 1934, suggère qu'il faudrait construire un pont avec une voie ferrée pour remplacer le bac.
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Ce lecteur récidive en 1935 avec de nouveaux plans tenant compte de l’évolution technique et des desideratas des Havrais. Son dessin paru sur le journal « Le Petit Havre » du 7 juillet 1935, donne une idée précise du projet de ce pont qui ressemble étrangement à ce qu’il sera plus tard, hormis son emplacement.
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Bien entendu ce projet n’est pas retenu, mais l’idée d’un pont fait son chemin dans l’esprit des Havrais et des élus. Cet homme dont le journal n’indique, hélas, pas le nom, avait étudié trois tracés pour la traversée de la Seine. Le plus surprenant là aussi, c’est que l’un d’eux, le numéro 3, est celui que nous connaissons aujourd’hui.
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Ce lecteur n’était pas le seul à vouloir un pont, en 1935 Hermann du Pasquier, Président de la Chambre du Commerce et du Port Autonome, suggère au Président de la République venu en visite au Havre, qu’il faudrait construire un pont à Tancarville.
Mais Léon Meyer craignait qu’en cas de guerre ce pont ne devienne un objectif pour l’assaillant et que sa destruction ne cause un grave préjudice au cours du fleuve. La Seine qui pourrait être
obstruée empêchant ainsi le passage des bateaux entre la mer et Rouen.
En 1938, la Société de Défense des Intérêts de la Vallée de la Seine donne son avis pour la
construction d’ouvrage franchissant le Seine. Cette analyse fait ressortir qu’il pourrait tout aussi bien y avoir un tunnel au lieu d’un pont. Les deux étant équivalent en coût de construction.
Dans ce fascicule on insiste aussi sur le danger que représente la destruction d’un pont pour le
trafic des bateaux vers Rouen.
Toujours est-il que la construction d’un franchissement de la Seine, par pont ou tunnel, est différée. En attendant, le bac continuait ses traversées.
Le bac du Hode pendant la deuxième guerre mondiale.
Avec la guerre le bac connaîtra des épisodes douloureux, le premier d’entre-eux est l’exode. Ceux possédant une auto, fuyaient en direction du sud en espérant passer par le bac du Hode.
En cours de route ils rencontreront les réfugiés et les troupes désorganisées de l’armée Française. Cela créa un embouteillage à l’approche de la Seine.
Mais au bac, seuls les conducteurs munis d’un ordre de mission pouvaient passer. De plus, faute de place et de temps il ne pouvait pas embarquer tout le monde et surtout toutes les automobiles. Résultat, plus de 7000 véhicules seront abandonnés avec leur contenu sur les routes d’accès au bac.
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Cette débâcle eut des conséquences dramatiques, la première étant que certaines familles furent dispersées en ayant laissé leur auto sur le bord de la route.
Pendant des semaines ceux revenus au Havre, rechercheront les membres de leur famille et leurs affaires par tous les moyens, notamment, en passant des annonces dans « Le Petit Havre ».
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Le bac lui-même connut bien des vicissitudes. En juin 1940, après l’exode, les Ponts et Chaussées donnent l’ordre d’évacuer tout leur matériel flottant sur Cherbourg. Le bac du Hode en fait partie. Il appareille pour Cherbourg tirer par un remorqueur, car il n’était pas question qu’il fasse la traversée maritime par ses propres moyens.
Arrivé dans la rade du Havre une batterie allemande installée à Sainte-Adresse le prend sous son feu. Un hasard extraordinaire fait qu’un obus coupe la remorque*, et que le bac part à la dérive. Il vient s’échouer sur la rive sud du fleuve, en amont de Honfleur, et comme il avait reçu un projectile dans la coque il coula.
En attendant que le bac soit réparé, les traversées sont effectuées par des embarcations légères comme on le constate ci-dessous
* Câble reliant deux bateaux.
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Bien sûr ce moyen est très insuffisant, alors les Ponts et Chaussées mettent en place un service de traversées avec un remorqueur. Mais il était bien précisé que ses horaires seront variables du fait que le remorqueur pouvait être appelé à tout moment pour servir ailleurs.
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En 1942 après avoir été réparé et modifié, le bac du Hode reprend du service. La principale
modification a consisté à déplacer la passerelle devant la cheminée, libérant ainsi de la place sur le pont.
Étant un lieu stratégique, les allemands construisent des blockhaus avec canon antiaérien du côté du Hode. De nos jours ces blockhaus existent toujours et sur l’un d’eux a été bâti l’observatoire des oiseaux du marais.
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Mais la guerre n’était pas terminée pour ce pauvre bac, en 1944 il subit de tragiques épreuves qui faillirent l’anéantir à jamais. Cela commence le 10 mai où il se fait mitrailler par une douzaine d’avions. Deux matelots sont blessés, ainsi qu’un passager. Le capitaine d’un remorqueur qui se trouvait dans les parages, est blessé lui aussi.
Après cette attaque on construit une protection sur la passerelle sous la forme de deux vigies de chaque côté pour surveiller les abords et mieux observer la venue d’avions ennemis.
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Mais les épreuves n’étaient pas terminées, le 8 juin le bac subit une attaque à la bombe et
heureusement sans faire de dégâts importants. Par contre le 9, une bombe tombe sur le poste d’équipage tuant le matelot Moy. Une autre tombée dans la cale arrière fait des blessés. Le bac
immobilisé est pris en remorque et échoué à l’entrée de la Risle.
En était-ce terminé pour ce malheureux bac... ?
… non et pas seulement pour lui, mais aussi pour ses installations puisque le 12 juin 1944 vers 9 heures, l’épave est attaquée à la bombe et frappée plusieurs fois. Une autre touche le ponton flottant rive droite et le fait couler.
En avait-on fini avec les épreuves… ?
…pas du tout, comme si cela ne suffisait pas, en août 1944, les allemands font sauter le ponton rive gauche à Berville ainsi que des brèches dans l’estacade du Hode. Ils détériorent également la
passerelle d’accès au ponton du bac.
Tous ces dégâts causés aux installations aussi bien rive droite que rive gauche seront les plus longs à remettre en état. Le bac lui, sera envoyé aux Chantiers de Petit Couronne pour sa
rénovation.
Après-guerre
En 1947, le bac est réparé aux Chantiers de Normandie, à Petit Couronne. Il reprend du service en 1949, pour le plus grand bénéfice du commerce et le bonheur des touristes.
En été son service commence à 5 h 30 et finit à 22 h. En hiver de 6 h30 à 20 h.
Il peut transporter 24 voitures ou 8 camions. Et pour améliorer ses performances en 1953 on l’équipe d’un moteur diesel.
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Bien sûr il était toujours insuffisant vu le trafic auto qui ne cessait de croître, mais en l’absence du pont il continuera son service jusqu’en 1959. Comme l’a dit son capitaine Yves Mouette, c’est un bac sans histoire.
Robert Lhomet a photographié le dernier équipage du bac, nous n’avons hélas pas les noms de ces marins, aussi Havrais-Dire vous les présente simplement, avec la photo de la collection Nicéphore.
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Le bac est désaffecté avec l’ouverture du pont de Tancarville en 1959. Cédé au Yacht Touring Club de Rouen, il sert de ponton pendant une dizaine d’années au pied du pont Boieldieu.
Au Hode il reste aujourd’hui les vestiges de la route d’accès de l’estacade, de la gare, ainsi que des montants des pontons flottants. On verra la semaine prochaine les métamorphoses de toutes ces installations et comment la nature a repris le dessus.
Sources
Soulieux Roger et Jean-Paul Dubosq : Le Havre, Histoire et Patrimoine.
R.G Nobécourt : les soldats de 40 dans la première bataille d Normandie.
Le bateau du Havre à Trouville Jean Moisy. Catalogue Karl Laurent. 2012 ISBN 978-235507-044-0 Journal « Le Petit Havre » Via Gallica.
Journal Havre-Presse et Havre-Libre.
Bulletin de la Société de défense des intérêts de la vallée de la Seine. 1938.
Valery Lebigot : Le Triton premier vapeur entre le Havre et Honfleur.
Étienne Claire et Jean Baptiste Rendu. Ministère de la culture.
Edmond Spalikowski : Promenades et causeries 1934. L’ancienne navigation et le Bac de Berville.
Le Havre d’Autrefois texte Charles Roessler 1883 Alexis-Guislain Lemale.
Georges Priem Recueil de l’Association des Amis du Vieux Havre N°30 1973.
GIP Groupement Intérêt Public Seine-Aval. Coordinatrice Valérie Foussard.
Crédit photos :
David Fouache.
Nicéphore.
Bernard Hauguel.
Roger Soulieux.
Relecture
Catherine Dubois.
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