Les Ursulines au Havre 1/3
On connait tous l’entrée de l’avenue Victoria avec ses deux piliers surmontés chacune d'une sculpture de lion, mais connait-on leur origine ?
L’entrée du domaine des Ursulines de nos jours. © Dan.
Pour le savoir il faut remonter au 17ème siècle avec l’histoire des sœurs Ursulines. D'ailleurs évoquer leur existence au Havre, c’est un peu raconter l’histoire de la ville elle-même.
En 1627, la fille de Denis Barbey, un des échevins de la ville, voulait enseigner chez les Ursulines à Rouen. Mais son père, pour ne pas se séparer d’elle, demande à la communauté Rouennaise de venir fonder une communauté au Havre afin que son héritière puisse y enseigner.
La demande est acceptée avec attention d’autant plus que Denis Barbey avait tout prévu : le monastère avait été acheté au nom même des ursulines de Rouen. Les autorités ecclésiastiques approuvant le projet, trois religieuses sont détachées de la communauté Rouennaise et s’installent au Havre sur un terrain ayant déjà une longue histoire.
En effet, acheté en 1622 par les carmélites de Rouen pour s’y établir, elles renoncent à y construire un couvent, effrayées par le climat Havrais, elles repartent à Rouen.
Le Havre au 17ème siècle. Le couvent des Ursulines figuré en bleu. L’église Notre-Dame en rouge. © ADP.
Le terrain resté libre est acheté en 1623 par les religieuses Bénédictines de Montivilliers. Elles agrandissent le domaine en achetant les terrains environnants, puis font construire un couvent et s’y installent.
Mais peu de temps après plusieurs religieuses tombent malades, et quelques-unes meurent. Prisent d’épouvante, elles s’interrogent, et si les carmélites de Rouen avaient eu raison de ne pas s’installer au Havre ?
Dans la crainte elles retournent à Montivilliers et mettent en vente le couvent et le terrain attenant.
C'est ainsi que Denis Barbey l'acquièrt et l’adjuge aux Ursulines venues de Rouen. Charge à ces dernières d’y établir une communauté. Ce qu'elles accomplisssent, et elles y resteront jusqu’à la Révolution de 1789.
Les Ursulines en 1700, avec de gauche à droite, une novice, la mère supérieure et une sœur éducatrice. Collection Alain Dufeil.
Une fois installées le vie au couvent s'organise. L’ordre de Sainte-Ursule est principalement consacré à l’éducation des jeunes filles ainsi qu’aux soins des malades et nécessiteux.
Une représentation de Sainte Ursule. Photo Christine et Bernard Hauguel.
Les sœurs ont un supérieur pouvant-être un prêtre venant d’une paroisse éloignée.
En 1675 leur supérieur meurt, la communauté demande à l’Archevêque de le remplacer par Jean-Baptiste de Clieu curé au Havre. Cette demande est acceptée et jusqu’à sa mort en 1719, il restera dans cette fonction.
Jean Baptiste de Clieu (1) a laissé un nom de rue, oh certes bien petite, néanmoins donnant sur deux rues très fréquentées : la rue Félix Faure et Georges Lafaurie.
(1) Ne pas confondre avec la rue Gabriel de Clieu qui était un marin au 17ème siècle.
La rue de Clieu entre la rue George Lafaurie et Félix Faure. © Dan.
Les bombardements de 1694.
Les Ursulines subiront les bombardements de 1694 et 1759. En 1694, elles sont obligées de quitter la ville suivant l’exemple des Havrais. Seuls quelques gardiens restent sur place pour éteindre le feu engendré par les boulets. Il faut préciser que ceux-ci sont chauffés à blanc avant d’être lancés. Outre la destruction provoquée par leur masse, leur température élevée déclenche des incendies.
Exemple de vaisseau anglais du XVIIIème siècle. Collection Alain Dufeil.
En 1759 survient de nouvelles attaques des anglais. Une sœur Ursuline écrit jour après jour ses impressions à propos des bombardements, en voici quelques-unes :
« En l’année 1759 le troisième de juillet, les anglais parurent à la rade du Havre au nombre de 33 »
« Mr le Duc d’Harcourt fit battre la générale pour faire assembler les bourgeois sous les armes, quoique les plus habiles mariniers avaient assurés que les bombes ne passeraient pas le galet [ la plage ] »
« Les habitants étant dans l’erreur que leur avaient donnée les pilotes, [ ils ] ne prirent aucune précaution ainsi que notre communauté ».
Les bombardements vus par un graveur. Coll Cédric Conseil.
Plus loin elle écrit :
« Ils recommencèrent à tirer le cinquième [ jour ] à une heure après minuit avec plus de vitesse qu’ils n’avaient fait le premier jour. Ils continuèrent jusqu’à midi ou une heure. Il tomba une bombe dans notre cour du noviciat à trois pieds [ environ 1 mètre ] de notre communauté. Elle s’enfonça de huit pieds dans terre. [ environ 2,50 mètres ]
« Les 3 jours qu’ils ont bombardé, on compte qu’ils tirèrent deux fois vingt-quatre heures, et qu’ils jetèrent au nombre de huit ou neuf cent bombes »
Les bombardements de 1759 . AMH 5Fi14.
Son récit se poursuit ainsi :
« Le septième du dit mois [ juillet ] les anglais mirent à la voile au nombre de 21 vaisseaux, et il en resta encore 12 à notre rade : les autres partirent pour se faire raccommoder, s’étant eux-mêmes endommagés par la quantité de bombes qu’ils avaient tirées ; Ils convinrent qu’ils avaient eu une de leurs bombardes coulées, et disaient qu’il fallait que les murs des maisons fussent de fer, ou que les sorciers fussent à nous garder ».
Les anglais n’en restent pas là, ils établissent des plans qui démontre leur détermination à vouloir détruire Le Havre de Grâce comme on peut le constater sur le plan ci-dessous dessiné par eux-mêmes :
Un des plans d’attaque des anglais. AMH 1Fi360.
Au mois d’août 1759, présumant que les anglais ne reprendront pas leurs bombardements, les sœurs, de même que les Havrais, reviennent au Havre.
Mais le 28 août les anglais réapparaissent avec 33 navires, et font leur possible pour s’ancrer en rade, ils n’y parviennent pas en raison des mesures prises par le lieutenant du Roi M De Beauvoir. Il avait fait installer des canons et des barques tout au long du rivage pour tenir à distance les bateaux ennemis et empêcher leur approche. Scène que l’on peut voir sur la gravure ci-dessous.
En médaillon les barques et canons alignés le long du rivage. Coll MGB.
Après cet épisode dramatique, la vie du couvent reprend et se poursuit sans trop de difficultés jusqu’à la Révolution de 1789.
La période Révolutionnaire.
Avec la Révolution de 1789 commencent les persécutions religieuses. La gestion du couvent devient difficile, le décret de l’Assemblée Nationale confisquant tous les biens et propriétés des religieuses. La plupart des sœurs refusent de prêter serment contraire à leur religion (1). Les réfractaires sont emprisonnées en ville dans un premier temps puis à l’abbaye de Graville où beaucoup y meurent.
(1) En fait ce serment n’était pas contraire à leur religion, mais il soumettait les religieuses à l’autorité municipale du point de vue civil, et non plus à l’autorité ecclésiastique. Ce serment ne concernait en aucun cas les préceptes catholiques.
L’abbaye de Graville et l’ancien clocher de l’église. Coll Cédric Conseil.
Mais le pire arrive en août 1792 les autorités de la ville demandent à la mère supérieure de quitter les lieux avant le 27 octobre.
C’est en pleurs que toutes mes sœurs quittent le couvent pour retourner dans leur famille où chez de personnes charitables. Tous leurs biens sont vendus, le couvent devient une prison (1), puis plus tard, une gendarmerie. Le jardin de la communauté est transformé en place de marché qui portera plusieurs noms dont le dernier sera « Place de la Gendarmerie ».
(1) cette prison sera transférée place Danton en 1860).
L’emplacement du jardin des Ursulines qui devient la place de la gendarmerie en 1853, ici avec les étals des fripiers. AMH 8Fi3.
Le même endroit de nos jours selon la position du photographe d’autrefois qui pouvait être un plus plus à droite ou à gauche. © Dan.
En 1795, la Révolution s’assagit, les sœurs insoumises sont libérées, mais elles ne peuvent pas reprendre leur vie de religieuse et d’éducatrice. C’est peu à peu qu’elles l ’exerceront mais en petit comité dans une maison située sur le Grand Quai. (Quai Southampton aujourd’hui).
En 1802 le culte catholique est rétabli. En 1804 les bombardements anglais recommencent et détruisent partiellement leur local du grand quai. En hâte elles déménagent les objets du culte et les meubles dans un pavillon à la campagne.
Par la suite les loyers devenant trop chers, elles déménagent du Grand quai pour s’établir dans un appartement au 12 de la rue Saint Jacques.
Le nombre d’élèves ne cessant d'augmenter, elles louent l’immeuble entier et font du magasin du rez-de chaussée un lieu de culte.
L’itinéraire des Ursulines dans Le Havre avec -1- le premier couvent dont elles ont été chassées. -2- la maison Grand quai-3- la maison rue Saint Jacques. © Gallica.
De 1815 à 1821 les Ursulines chercheront à retourner dans leur ancien couvent rue Beauverger devenue une prison. Mais cela s’avère impossible, dès lors elles achètent une parcelle de terrain au nord de leur ancienne communauté pour s’y établir.
Le terrain acquis, il leur faut maintenant trouver l’argent pour construire leur nouvel asile. C’est François Lambert, négociant, qui leur procure gracieusement la somme nécessaire pour le bâtir. La 1ère pierre est posée le 6 novembre 1822 par Mgr de Bernis archevêque de Rouen.
L'itinéraire des Ursulines de 1627 à 1822. Les points bleus sont des couvents provisoires. Leur premier couvent devenu prison, est entouré en bleu. Leur deuxième et nouveau couvent est entouré en violet. AMH.1Fi0002.
Suite la semaine prochaine.
Sources :
Les Ursulines du Havre par T. Duval curé de Notre-Dame supérieur des Ursulines 1890.
Répertoire du patrimoine de la ville du Havre N° 12 juin 2003.
Histoire des rues du Havre tome 1er. Charles Théodore Vesque.
A-E Borely. Histoire de la ville du Havre.
L’observatoire du Patrimoine Religieux.
Sources iconographiques !
Alain Dufeil.
Cédric Conseil.
Archives Municipales du Havre.
Archives Départementales de la Seine Maritime.
Gallica.
Dan.
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