Le funiculaire du Havre 1-2
Évoquer Le Havre sans son funiculaire c’est comme décrire Paris sans la tour Eiffel. Depuis l’annexion du bas Sanvic et d'Ingouville en 1852, les déplacements de population entre la ville haute et basse se sont accrus. Mais la côte représente un obstacle de près de 90 mètres qu’il faut franchir, et les omnibus ne convenaient pas pour une telle dénivellation. Alors comment remédier à cette difficulté ?
Un omnibus havrais de la Compagnie Générale de Omnibus. Coll Dan.
Une première étude par moyens mécaniques est déposée devant le conseil municipal en 1879 par Charles Le Cesne, mais devant ses exigences la municipalité lui refuse la concession.
L'enquête est reprise par Gustave Lévêque en 1886, où il ressort que chaque jour plus de 6000 personnes vont du plateau vers la ville basse et inversement. Ce comptage démontre qu'elles se déplacent soit pour des raisons économiques, travail et commerce, mais également pour profiter des points de vue sur la ville basse.
Le panorama sur Le Havre depuis le funiculaire. Coll Dan.
Cependant cette étude menée auprès du public fait naitre quelques craintes. Les détracteurs se font entendre en abordant les points suivants :
- la desserte du cimetière Sainte Marie ne sera pas assurée avec son tracé.
- Le tracé devant couper la propriété de M. Delaroche celui-ci, appuyé par ses amis, s’élève contre ce projet.
- Le quartier résidentiel sera envahi par la fumée de la machine.
L’ingénieur y apportera des réponses que l’on verra plus loin. Les objections levées il obtient la concession que lui accorde la municipalité le 8 juin 1887. Gustave Lévêque peut alors constituer sa société sous le nom de « Chemin de fer de la côte » au capital de 250.000 Fr. et commencer les travaux.
Gustave Lévêque vu par la presse satirique, ici la « Revue Comique » du 15 février 1890. © Nutrisco.
Le cahier des charges :
Cet accord est assujetti de quelques obligations pour Lévêque, en effet le cahier des charges stipule que la voie devra avoir 1,20 mètre d’écartement, que les wagons devront avoir au minimum 32 places à 0,10 Fr l’unité. Leur rotation devra être de 12 par heure dans chaque sens. De plus les travaux devront être achevés dans un délai d’un an après l’obtention du label « utilité publique ».
En contre-partie la ville s’engage à ne pas accorder d’autres concessions dans un rayon de 500 mètres autour du funiculaire, mais cette restriction ne s’applique pas aux autres modes de transport.
La loi du 23 avril 1889 déclare le projet d’utilité publique avec le cahier des charges. la commision entérine la convention passée avec Gustave Lévêque.
La gare basse du funiculaire au début du XXème siècle avec au premier plan la place Thiers. Coll Dan.
La gare basse à la fin du XIXème siècle. Le 1er étage était un logement de fonction. Collection Lanterne Magique MGB.
Le tracé :
La position géographique du funiculaire n’est pas choisie au hasard, en effet le champ de foire est proche (1) avec son marché et bien sûr ses nombreux chalands. C’est la raison pour laquelle G. Lévêque place la gare basse près de celle-ci c’est-à-dire au croisement des rues Maréchal Galliéni (2) et Saint Thibault (3). Ce point de départ est aussi celui du viaduc de 146,25 mètres sur 3,65 mètres de large, prolongé par un pont maçonné de 36 mètres de longueur. Ces ouvrages positionnent la voie ferrée dans la bonne inclinaison par rapport à la côte et permet le creusement du tunnel sous la rue de Montivilliers plus aisément. (4)
(1) Place Thiers depuis 1908.
(2) Portion devenue rue du Docteur Vigné en 1941.
(3) Rue Gustave Flaubert depuis 1894.
(4) Rue Georges Lafaurie depuis 1959.
Les deux viaducs. 1 : le métallique, 2 : le maçonné © Google Earth.
Pour respecter les engagements énoncés lors de l’enquête publique, Gustave Levêque fait creuser une tranchée maçonnée de 60 mètres de long avec cinq passerelles dans la propriété de Delaroche.
La tranchée maçonnée avec ses cinq passerelles depuis la gare haute. À gauche en 1900, à droite de nos jours. Coll et photo dan.
Pour la fumée émise par la machinerie, il fait construire une très haute cheminée afin de disperser la fumée le plus loin possible. D’ailleurs cette fumée sera pour les havrais un indicateur du temps qu’il fait ou fera, selon le vent.
Quant à la desserte du cimetière Sainte Marie, G. Lévêque réalisera un autre funiculaire pour y accéder. (Voir ici).
Le funiculaire avec en haut la cheminée de la machinerie. Coll Dan.
La longueur de la ligne est de 343 mètres, son élévation va de 10,29 mètres à 88,28 mètres. La voie est constituée de rails "Vignole". Une crémaillère à deux lames est utilisée pour le freinage. Les voitures ont 2 mètres de large fermées par des portillons avec 6 compartiments indépendants offrant 48 places assises. Par contre le conducteur était sur une plateforme ouverte à l’avant avec une visière pour se protéger des intempéries. Sa fonction était surtout d’agir sur le frein en cas d’incident.
Le conducteur dans sa cabine ouverte à l’avant prêt à tourner le frein en cas de besoin. Coll Dan.
La force motrice :
La machinerie comportait deux chaudières Belleville de 65 CV fonctionnant à échappement libre. Elles étaient fournies par les établissements Quillacq d’Anzin dont G. Levêque était l’ingénieur. Une seule fonctionnait pendant la journée, l’autre étant en réserve.
La construction totale du funiculaire est terminée en juillet 1890 et l’exploitation commence dès le 17 août. Pendant ces premiers cinq mois le nombre de voyageurs atteint 359.000 dont 257.000 à la montée.
En 1895 pour permettre le transport des colis et des bicyclettes, pour un prix égal, on supprime les bancs d’un des compartiments.
Le funiculaire avant 1911 avec la cheminée de la machinerie. Notez, le conducteur légèrement en dehors de sa cabine. Coll Dan.
En 1911 on remplace les chaudières à vapeur par deux moteurs électriques. Ce sont des moteurs Houston développant 75 Cv à 650 tours minute. Le courant continu est fourni par la SHEE (Société Havraise d’Energie Electrique) rue Charles Laffite. Cette électrification permet de réduire le temps de parcours de 3 minutes. Malgré l’arrêt de trois semaines pour installer l’électricité, le trafic atteint en 1911 : 595.515 voyageurs chiffre constant qui se maintiendra pendant 10 ans.
La voie sur le viaduc avec la crémaillère. Coll Dan.
La guerre 1914-1918 ne voit aucun changement notable pour le funiculaire. En 1928 les voitures sont allongées portant l’année suivante le nombre de voyageurs à 2.620.430. La concession se terminant le 23 avril 1939 il ne sera apporté aucune autre modification au cours des années précédant cette date.
Suite la semaine prochaine.
Sources :
Revue bimestrielle de la Fédération des Amis des Chemins de Fer Secondaires (F.A.C.S.) 1971.
Dictionnaire des rues du Havre Édition des Falaises 2011.
Sources iconographiques :
Dan.
Nutrisco : "Revue Comique" du 15 février 1890.
Google Earth.
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