Les entrepôts Dubuffet.
En 1890 Charles Alexandre Dubuffet fonde au Havre son entreprise d’importation et distribution de vins et alcool au 40 rue Juste Viel. Venant du monde entier, les liquides sont stockés sur le port dans de grands chais et rue de Phalsbourg (Gabriel Péri). Là, le vin est réparti dans 120 cuves en béton dont l’intérieur est revêtu de verre, puis mis en bouteille et étiqueté. Elles sont ensuite distribuées dans le Havre et sa périphérie.
Le chroniqueur Albert Herrenschmidt décrit très bien ces cuves de la rue de Phalsbourg dans sa chronique de 1908. (Lire en fin d’article de larges extraits).
Le service livraison des entrepôts Dubuffet au 83 rue JB Eyriès, après-guerre. Collection Nicéphore.
Le même endroit aujourd’hui. Photo DAN.
Le bassin de la citadelle (ici vue vers l’ouest) un arrivage de tonneaux de vin au début du XXe siècle. Collection DAN.
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Après le désastre de 1944, les bureaux et les entrepôts sont reconstruits au même endroit avec toutefois une nouvelle entrée au 81 rue Jean-Baptiste Eyriès. Les magasins sinistrés « Les Caves Générales » sont reconstruits dans des bâtiments provisoires, mais en "dur" autour et dans les zones dévastées. Celui présenté dans cet article n’a pu être identifié quant à son adresse précise au Havre, plusieurs cités provisoires ayant un magasin de ce type dans leur périmètre.
Un des nombreux magasins « Caves Générales » reconstruits provisoirement dans les zones sinistrées. Collection Nicéphore.
La cour d’où partaient les livraisons dans Le Havre et sa périphérie. Notez le camion Vectra électrique, marque que les Havrais connaissaient aussi sous la forme des trolleybus. Collection Nicéphore.
A gauche, au 74 de la rue J-B. Eyriès, les ateliers d’entretien des entrepôts Dubuffet en face du centre de livraison (collection Nicéphore), à droite, le même endroit aujourd'hui. Photo DAN.
En 1963 la société anonyme « Entrepôts Dubuffet » est rachetée par Weston, une compagnie canadienne, tout en gardant son nom d’origine. C’est dans les années 1980 qu’elle disparaîtra complètement, et à la place des entrepôts seront construit deux groupes d’immeubles d’habitation.
Par contre il reste des vestiges des magasins Dubuffet au Havre, on peut encore voir au hasard d’une promenade comme celui, toujours visible, de la rue Amand Agasse.
Un « vestige » des magasins "Caves Générales" rue Amand Agasse, dont le volet est judicieusement décoré par l’artiste peintre Jace. Photo DAN.
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Si tout ce qui rappelle cette entreprise a disparu, il reste néanmoins des cuves en béton armé, identiques à celles des entrepôts Dubuffet. Témoins du temps passé, on peut encore les voir, au 23 de la rue Franklin.
Extraits de la chronique d'Albert Herrenschmidt de 1908 à propos des cuves de béton rue de Phalsabourg (Gabriel Péri) et de sa visite dans les entrépôts Dubuffet :
« Ces foudres sont des réservoirs en ciment armé, de vastes parallélépipèdes accolés formant une série de bacs étanches et clos dont les surfaces intérieures sont revêtues de verre. Un robinet est destiné à l’échantillonnage du contenu, un autre, de plus fort diamètre, sert de transvasement. A la partie inférieure, un « trou d’homme » facilite le nettoiement de la cuve vide. Enfin, en haut, une ouverture étroite par où le vin est introduit, permet de faire le « plein », car il importe absolument, pour assurer la conservation du produit, que celui-ci soit à l’abri de l’air. Un gros bouchon de bois tient lieu de bonde, mais il offre cette particularité que, muni d’un collier de caoutchouc percé de trous, il permet la sortie du gaz de fermentation au cas où le dégagement d’acide carbonique n’est pas complet, et s’oppose à l’entrée de l’air extérieur. » (…)
« Les uns comme les autres portent avec leur numéro d’ordre, l’indication du contenu et la mention de la capacité : 215 à 260 hectolitres pour les cuves du rez-de-chaussée, 120 à 125 hectolitres pour celle du premier, soit au total un volume de 14,000 hectolitres environ »(…)
Voyons maintenant, après la grosse artillerie des pièces…de vin, réserves opulentes de l’armée des futailles, l’éparpillement journalier des litres à travers la ville, le fonctionnement normal d’un minutieux service de détail. Il emplit d’activité tout un vaste immeuble de la rue Juste-Viel, dont le mouvement et la vie se prolongent jusque dans les entrailles du sol, le long des caves souterraines, où sommeille, habillée de chêne, une ample provision de ce « divin jus de la treille » des romances, dans lequel le Français semble avoir puisé les meilleures qualités de la race, l’esprit de la belle humeur.
Il faut ici se laisser guider, suivre les phases successives, depuis la grande salle où les litres arrivent nus comme de petits saints pour en sortir brillants, parés et remplis de vin ; côtoyer les appareils qui lavent, remplissent, bouchent et capsulent automatiquement toutes les bouteilles sous l’œil attentif d’un nombreux personnel. » (…)
« Quelle est, dans cette consommation du vin au havre, la part fournie par les caves générales ? Question peut être indiscrète. Mon guide n’y vit point malice. Au reste, il eut pu, avec quelque vanité, faire valoir l’éloquence des chiffres.
En 1900, la vente annuelle des caves atteignait 2,800 hectolitres de vin ; elle montait l ’année suivante à 6,700 ; en 1902 à 15,000. Puis elle fléchissait un peu en 1903 : 13, 000, se maintenait à cette quantité en 1904 pour s’élever à 20,000 en 1905 et atteindre 27,000 en 1906.
Ce qui revient à dire que les gosiers havrais absorbent journellement, rien qu’aux caves, le vin qui serait contenu dans un réservoir de trois mètres de long, sur deux mètres de large et un mètre de hauteur !...
Machinalement, dans ce temple du vin à quatre sous, j’ai cherché la statue de Noé !"
fin des citations
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