L'énigme du bassin Vauban.
Tous les bassins du port depuis la fin du 18ème siècle furent conçus avec des dimensions suffisantes pour faciliter les manœuvres des navires. Une exception toutefois, celle du bassin Vauban où un curieux rétrécissement en lignes brisées défie toute logique. Alors, pourquoi une telle singularité ? C'est ce que nous allons expliquer ici.
La partie ouest du bassin Vauban de nos jours. © Dan.
La configuration actuelle du bassin Vauban. Les flèches rouges indiquent ses quais construits en lignes brisées, sujet de cet article.
C'est en 1839 que l'on décide d'élargir le canal Vauban pour créer ce bassin. Mais un problème se pose d'emblée : la présence des fortifications. A cette époque, on ignore si elles seront maintenues ou déplacées plus à l'Est.
Dans le doute, on creuse en forme d’entonnoir (sans quai) cette partie jusqu’au pertuis. (Figure 1)
Figure 1. Le bassin Vauban en 1841. Le trait rouge représente une estacade. La partie vert foncé le rempart. La partie vert clair le reste des fortifications. (Pour plus de clarté les fortifications au nord du bassin, n’ont pas été représentées.)
Traversée des fortifications par le brick Hercule. A noter sur la gauche, l'estacade construite afin de compenser l'absence de quai à cet endroit. A droite, la Porte Royale. Collection Dan.
La suite de l’histoire reste liée aux contraintes militaires. Vers 1845, le seul accès au sud de la ville reste la Porte Royale. Pour éviter le bassin devenu un obstacle, on perce une porte dans le bastion et on construit un pont dormant1 pour le franchissement des douves. (Figure 2).
Figure 2 : la flèche rouge indique le passage nommé « Porte Vauban » percé dans les fortifications. Le carré jaune le pont dormant.
En 1846 débute le creusement du futur Bassin de l'Eure Ces travaux contraignirent les militaires à céder une partie de leur terrain sur lequel fut construit un quai parallèle aux remparts. Mais ces derniers ne disparaitront complètement qu’en 1865. (Figure 3).
Le bassin de l’Eure est creusé, les fortifications arasées, le pont dormant enfoui. L’aspect du bassin se rapproche de celui que nous connaissons actuellement.
En 1870 un projet de loi prévoit enfin de faire disparaître l'étranglement de l'entrée du bassin qui « s'avère fort gênant pour la navigation ». A cette fin, on envisage de déplacer le quai oblique vers l'ouest. (Figure 4).
Figure 4 : Le projet de 1870 en gris, seule la partie rayée sera réalisée. En jaune le pont dormant. Le trait vert est la limite des anciens remparts.
Cependant, encore vingt années s'écouleront avant que des travaux ne soient effectivement engagés. Nous sommes en 1890, les responsables du port2 décident - enfin -, de terminer ce bassin en construisant des quais définitifs. C'est alors qu'un événement (probablement) imprévu va se produire. En creusant les berges, les ouvriers mettent au jour l’ancien pont dormant qui « sommeillait » sous terre depuis 1865! C'est ce que nous montre la photo des archives municipales.
Le pont dormant exhumé. AMH 7Fi0010.
Noter la similitude avec le pont dormant du Perrey construit à l'autre extrémité de la ville. Celui-ci aurait-il également été enseveli ?
Le pont dans le contexte actuel. Photo montage Dan et Grégory.
Qu'est-il advenu du pont dormant? A-t-il été enseveli ? A-t-il été complètement détruit ? Les archives n’apportent aucune réponse à ce sujet. Ce qui est certain, c'est que les travaux d'agrandissement du bassin en restèrent là. Les berges furent alors maçonnées avant que le tracé initialement prévu ne soit atteint.
Il est possible que cette décision ait été prise afin d’éviter un surcoût inutile. Le Bassin Vauban ne répondait plus aux nouvelles exigences portuaires, contrairement aux nouveaux bassins Bellot et de l’Eure.
Voilà donc ce qui explique cette forme si particulière en dents de scie que le quai Frissard présente encore aujourd'hui.3
(1) Un pont dormant est une œuvre d'architecture défensive, intégrée à une structure fortifiée dont il est généralement un des rares accès possibles et pouvant être facilement contrôlé.
(2) Les Ponts-et-Chaussées - La Chambre de Commerce et la municipalité du Havre-Le département (Seine inférieure à l’époque) les députés- les ministres du commerce et des finances et le président de la République.
(3) Recherches effectuées avec MM : Grégory Saillard et Patrick Bertrand.
Remerciement à MM Philippe Chapelain (Phyll), François Vaudour (Goé) et Nicéphore pour leur aide, conseils et suggestions.
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